Le nouveau cimetière commercial.

Pedro Morais

Que deviennent les rues d’une ville lorsqu’on dissout l’opposition entre vie réelle et vie virtuelle ? Quand la géolocalisation change nos repères spatiaux et nos choix de consommation, transformant une balade en information, quelle utilité auront bientôt les plaques de signalisation, les enseignes, voire les magasins ? « En visitant des petites villes Françaises, j’ai souvent été surpris d’y découvrir des rues commerçantes à l’abandon, avec contrecollées sur les vitrines des photos en taille réelles mettant en scènes leurs propres activités passées, souvent retouchées en 3D. Sortes d’uchronies du quotidien ces images nous laissent entrevoir une vie commerciale qui n’existe plus désormais », raconte Rémi Groussin.
« En résidence à Nice, quand j’ai vu le néon éteint d’un magasin de vente de films cassettes et DVD en faillite, surement à cause des nouvelles pratiques de téléchargement, je me suis dit qu’il fallait s’emparer de ce nouveau cimetière commercial. »

Il récupéra ainsi des enseignes lumineuses, dont beaucoup présentent des lunettes ophtalmologiques, soulignant le contraste entre cet outil de correction optique et son support désuet. Si le néon est désormais un classique de l’art, dans son travail il est plutôt un vestige de villes transformées par la consommation fin de siècle. L’artiste avait déjà refait des flippers de années 1960-70, ceux avant le passage au tout électronique, pour mettre à nu leur mécanique : un jeu sans fin, où l’on ne gagne jamais d’argent car il est impossible de battre ces nouvelles machines que Rémi à conçu avec des bugs systèmes. Et quand il refait à échelle humaine un décor de ruines antiques typiques des aquariums, il y a une ironie perfide : pour éviter que les poissons tombent en dépression, nous les faisons balader dans notre civilisation submergée par la montée des océans.

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Publié dans Le Quotidien de l’Art, n°1666, 21 février 2019.