Allumeur.

Rémi Groussin

Images : Rémi GROUSSIN
Voix off : Edward FARRUGGIA
Prise de son : Laurie CHARLES
D’après le récit : de Benoit Nabineau, néoniste gérant de l’entreprise Le Verre Luisant.
Interview : Rémi GROUSSIN



Mon père, d’abord, avait appris ce métier avec son grand-oncle.
Lui-même avait été formé par Georges Claude, juste un peu avant la première guerre mondiale.
Il avait tout appris directement de lui, le génie de ses gestes, de ses mains et de son souffle.
Georges Claude, c’est tout de même le physicien - chimiste qui a inventé cette technologie en 1910.
Aujourd’hui, c’est un héritage, un véritable savoir-faire qui coule dans mes veines.
L’esprit de Mr Claude guide chacun de mes mouvements, comme un flux électrique jusqu’au bout de mes doigts.
Je possède en moi l’origine de la fabrication cette lumière, de son incandescence.
Pourtant c’est aussi avec moi qu’elle disparait.
Je verrai s’éteindre ces lumières.
À l’époque, mon père avait ouvert son entreprise dans le 19ème arrondissement de Paris.
Elle fonctionnait très bien.
Elle signait des très grandes commandes, comme «l’Olympia » avec ses grandes lettres rouges, ou le grand « Rex » aussi.
On illuminait Paris et toute la France.
On éclairait dans l’Europe entière, en Norvège, en Allemagne, parfois-même en Afrique.
Souvent je ne savais même pas où ça partait.
On produisait sans réfléchir et, généralement, sans en voir la finalisation ou l’installation.
Moi, je suis officiellement rentré dans l’entreprise familiale en 1983, juste après le collège.
Je n’étais pas un bon élève et je ressentais juste le besoin de travailler.
On était tout le temps en famille.
Ma mère faisait la comptabilité, mon frère posait et mon père et moi on soufflait, toute journée, tous les jours de la semaine.
Dans l’entreprise il y avait continuellement des souffleurs qui soufflaient du matin au soir.
Mais ce travail était trop dangereux pour le petit garçon que j’étais.
La manipulation du verre est trop précise et trop fragile.
Mais surtout il y avait du feu, du feu partout.
Il y avait aussi les gaz toxiques et le mercure, il fallait faire attention.
Quand j’étais enfant j’allais tous les mercredis voir mon père au travail.
Je l’aidais comme je pouvais.
Je passais de la peinture pour cacher ce qu’il ne fallait pas voir.
Il y a des endroits sur les tubes qu’il faut rendre invisibles pour que les mots ou les images soient lisibles.
Cacher pour rendre visible.
Au début j’ai travaillé dans l’entreprise, j’y ai tout appris.
Puis un jour on m’a envoyé à St Martin, dans les Caraïbes.
Là-bas c’est les îles, c’est très exotique.
À cause des gros cyclones de 1995 qui ont tout détruit, il fallait tout reconstruire.
Je devais reproduire toutes les enseignes pour que le commerce reparte et relance l’économie.
Là-bas le travail était différent.
Car les formes étaient plus arrondies, plus courbes.
J’ai façonné des choses que je n’aurais pas réalisé en France.
De grands pélicans qui battent leurs ailes, animés par des nombreux boitiers électriques.
On superposait des tubes les uns sur les autres pour créer une illusion de mouvement.
L’imaginaire des Caraïbes.
J’ai fait beaucoup de fleurs d’hibiscus, de toutes les couleurs, de toutes les tailles.
Des paysages de plages au sable fin.
Des vahinés.
Des soleils.
Je n’ai pas soufflé de palmier par contre.
Aucun palmier clignotant.
Aujourd’hui, je fais ce métier chez moi dans un tout petit atelier.
Mais j’ai tout ce qu’il faut.
En fait, c’est juste un tube de verre dans lequel j’injecte un gaz qui s’éclaire par magie.
Non, c’est faux, ce n’est pas de la magie en réalité.
Mais je n’arrive pas à expliquer vraiment ce qu’il se passe.
La source de lumière est directe.
Elle se diffuse à 360 degrés, de chaque côté autour du tube.
Elle éclaire tout.
Je ne fabrique pas le verre moi, il vient d’Italie.
Je reçois les tubes tout droits et ensuite je les sculpte.
Il y a différents diamètres, de six à vingt-trois millimètres.
Ils sont déjà colorés avec un enduit fluorescent mais on ne distingue pas la couleur au départ.
Les tubes arrivent transparents, blanc ou jaune.
Le verre c’est du pyrex.
On peut appeler ça cristal aussi.
C’est un verre très résistant qui vient d’Allemagne et qui a été cuit à très haute température.
Le verre c’est juste du sable que l’on fait fondre.
C’est du minéral, ça vient de la terre..
D’abord les tubes en verre sont tous transparents.
Un tube blanc ne produit pas forcément une lumière blanche.
Un tube jaune ne produit pas seulement une lumière jaune.
Par contre un tube transparent produira seulement une lumière rouge.
Je travaille pratiquement à l’aveugle.
Les couleurs ne se révèlent qu’à l’allumage.
Moi je façonne ces tubes en fonction des plans que l’on me donne.
D’abord je découpe les tubes à la bonne dimension à l’aide d’une lime en poudre de diamant.
Ensuite, je porte le verre au rouge pour le former.
J’utilise des chalumeaux, je chauffe le tube avec un mélange air et oxygène pour le ramollir.
Je superpose régulièrement le tube en fusion sur le plan afin de recopier la forme à la bonne dimension.
Je travaille avec des dessins reproduits à l’échelle.
Je fais beaucoup d’allers-retours du dessin à la flamme, de la flamme au dessin.
Cela crée beaucoup de fumée dans l’atelier.
Je dois travailler à l’aveugle.
Le tube est en permanence relié à ma bouche par un tuyau en latex souple.
Je souffle dedans pour éviter que le verre ne se ramollisse et que le tube se referme sur lui-même.
Une fois que le tube a la bonne forme je dois le souder aux deux extrémités avec des cathodes.
Ce sont des diodes en métal conducteur qui feront passer le courant électrique d’un bout à l’autre.
Pour certaines couleurs, plus vives, je dois ajouter un métal particulier.
J’injecte une toute petite bille de mercure liquide avec une pompe spéciale que j’ai fabriqué moi-même.
Je réalise d’abord une bulle de verre.
Je soude ensuite cette bulle au tube principal.
C’est un petit espace de transition.
La bille de mercure restera enfermée dans la bulle en verre le temps de terminer les autres étapes.
Je dois réaliser le « pompage » en chauffant le tube à 315 degrés et brûler la moindre impureté.
Pour cela, je raccorde l’ensemble à ce qu’on appelle un « queusot » qui est relié à une machine.
J’aspire entièrement l’air avant d’injecter les gaz.
Je fais le vide, le vide sidéral.
Je vérifie toujours s’il n’y a pas une fuite d’air avec un petit outil qui envoie une légère décharge électrique.
Si je perçois des mini-éclairs qui traversent les parois du tube c’est que le verre doit être fissuré ou bien trop fin.
Il y a donc un risque que le gaz s’échappe plus tard, je dois alors retravailler le tube.
Une fois que tout est ok, je fais tomber la bille de mercure depuis la bulle vers le tube principal.
Généralement elle vient se coller à la cathode en tombant.
La chaleur produite par l’incandescence du gaz fera ensuite fondre le mercure et illuminera la couleur.
Le gaz s’allume, il est stimulé par un courant électrique très puissant de 1000 volt jusqu’à 12 000 V.
Le mercure va produire une ionisation.
Il s’agit d’un phénomène atomique qui permet de charger en énergie les molécules de gaz et d’activer ainsi la lumière.
C’est un phénomène qui se crée dans l’invisible, à l’échelle de l’atome.
Pour le rouge, par contre, il n’a pas de bille de mercure.
Le rouge c’est juste de l’incandescence.
Le gaz brûle et on le voit brûler.
C’est un peu comme si on regardait le soleil dans les yeux.
Enfin pour terminer, je branche le tube plusieurs heures à un transformateur haute tension adapté.
J’utilise un morceau de papier que je dépose délicatement à l’extrémité du tube.
Je l’observe en attendant qu’il commence à brûler.
Dès que de la fumée s’échappe du papier, c’est que j’ai atteint la bonne température.
Aujourd’hui, je fais ce métier chez moi dans un tout petit atelier.
Mais j’ai tout ce qu’il faut.
Je suis revenu en France pour m’installer en pleine nature.
J’entends le bruit de l’eau, la Loire coule juste au bout du jardin.
J’entends des oiseaux et j’entends le calme surtout.
Il y a mes chiens qui aboient, ils ont chaud.
Sinon c’est toujours calme.
Sauf lorsque j’allume les chalumeaux je n’entends que le feu.
Le feu qui circule dans l’espace autour de moi et le feu qui remplit l’intérieur des tubes.
Avec ce métier j’ai appris à entendre le feu, mais surtout j’ai appris à voir le feu.

Cette vidéo et le texte que l’artiste a rédigé en français et en anglais ont été diffusés lors de l’exposition personnelle de Rémi Groussin Porter au rouge, aux Pavillons d’Octroi de la ville de Tours, en 2023.
Il s’agit d’un travail de recherche que Rémi Groussin a mené à l’occasion de la résidence de recherche et création effectuée à Tours en 2023 et portée par Mode d'emploi