Des intensités.
Rémi Groussin
Vestiges d’éclairages, technologie d’incandescence, les rayons rouges impriment dans nos yeux des signes au néon qu’une sensible persistance, remémore à nos pupilles ce qu’est voir le feu.
Un matin d’hiver, ce lieu, une première rencontre avec lui.
Face à face ou corps à corps nerveux, de notre relation s’instaure d’irrésistibles ressentis. Dans un écrin sauvage d’une nature moite, inondée par les embruns du Tarn remuant, une haute muraille s’érige fière et droite, sortant des eaux électriques aux silures frétillants. L’espace sécurisé, grilles mobiles et garde-corps, se dévoilant infranchissable à mes efforts, révèle à mon épiderme l’hypersensibilité accrue, des phénomènes d’intensités ininterrompues.
Déambulant dans les entrailles de la centrale, méandres technologiques tourbillonnantes abyssales, se dévoile la puissance des forces centriques, le regard vacillant aux turbines elliptiques.
Ressentir les lieux ne m’était alors qu’inexpérimenté, et devient inéluctablement naturel, régissant mes moindres faits, gestes et pensées, prise de conscience d’une autre crise existentielle.
En haut, je parcours fébrile d’abord, l’immense dalle jaune d’or, aux pourtours encerclés d’un promontoire en béton armé. J’imagine la hauteur vertigineuse, à laquelle nous devons évoluer à présent, aux sons des sirènes lointaines et prodigieuses, des chutes d’eaux dont n’apparaissent, qu’ici, le commencement.
Le sol tremble sous mes pieds tout à coup, et par capillarité fait vibrer mon corps tout autant. La terre devait-elle trembler depuis toujours que je ne m’en rende compte qu’à l’instant ?
Un sentiment de fragilité dresse les poils de mes mollets, parcourant ma peau, mes veines, mon cervelet. Devenant dépendant de la volonté des lieux, les espaces oscillent et le bâtiment chancelle avec eux.
Ce lieu m’invite au centre. Au centre de l’espace, là où l’espace est au centre.
Les turbines se sont mises à marcher, et on entend au loin le bruit de l’eau s’intensifier. Je m’approche au bord du parapet, tentant timidement de m’y pencher. Feignant de ne pas être anéanti par le vide, où j’observe le triste spectacle des cascades arides, alors que des chutes d’eaux se créent lentement à mesure, que mes doigts volontaires arriment la bordure. Amoncellement d’énormes roches imbriquées, qu’un liquide vert-bruyant laisse s’écouler.
Je découvre un paysage artificiel, semblant se fabriquer instantanément sous mes yeux, et l’activité ruisselante, flux providentiel, qu’une rivière retenue en maîtrise l’enjeu. Pénétrante aux confins du bâtit en dessous, la rivière tumultueuse entre les barrages ruisselle, au soleil rasant éclairant l’eau qui bout, ondulante et brillante de milliers d’étincelles.
Je restais là pensant à ce que je pourrais produire, un paysage dans le paysage d’une nature intensifiée, moi qui n’aime ni faire, ni imaginer, ni construire, au contraire avec le réel je veux réaliser.
Absorbant la surenchère spectaculaire qui le jour s‘offre, aux heures d’activités industrielles érodées, je déposerais des reliquats lumineux et polymorphes, qui baigneront l’entre-nuit de couleurs bigarrées. Je vois le jour, perçois le monde, les signaux déconstruits deviennent illisibles. Et le soir autour, d’absurde s’inonde et me révèle au plus près l’invisible.
Au sommet de l’immense centrale hydroélectrique, dalle de béton jaune-brûlante acide, clignotent et scintillent ces lumières hypnotiques, baignées par les flux d’un nature liquide.
Vestiges d’éclairages, technologie d’incandescence, les rayons rouges impriment dans nos yeux, des signes au néon qu’une sensible persistance, remémore à nos pupilles ce qu’est voir le feu.
Tout va la nuit quand la lune se noie.
Les chocs électromagnétiques remontent des parois. Des veines-câbles transmettent, invisibles et sonores, le courant qui s’étend et résonne au dehors.
Héron libre, pose toi près du hibou de pierre. Celui-ci veille d’un œil et de l’autre vacille, éclairé à la base d’un cercle vert clair. Lancinante lanterne au vitrail qui brille.
De toutes parts le brouhaha permanent résonne en écho, avec les activités ouvrières des bâtiments adjacents.
En face, sur l’autre rive, des sons stridents émanent des métaux, architectures mécaniques aux rouages aigus et grinçants. Sans que l’on s’en rende compte l’environnement autour larsen, nous empêchant d’entendre lorsque grand-duc ulule, le soir où la vie revêt d’autres intenses phénomènes, que l’on entonne avec lui le chant du monde qui hurle.
Comment faire autre chose qu’une accumulation excessive, dans ce biotope opulent d’une densité complexe, surenchère lumineuse reflétant de rive en rive un message, un bouquet qui nous laisse perplexe. Il n’y a là ni confort, ni repos à l’image d’une nature, ne s’arrêtant jamais comme les astres qui tournent, et nous malmène la vision et nous jette en pâture, au vertige vagal qui va, qui vient et puis retourne.
Objets fragiles vous avez déjà tant vécu, je vous déplace ici pour vivre comme moi, les intensités des ces lieux invaincus et les histoires sensibles que vous portez jusque-là.
Sous une pluie battante le verre au néon s’égoutte, d’un rouge fluide traversant le cristal, reflète à l’envers dans chacune de ses gouttes, la projection incertaine d’un moirage boréal. Le planisphère central au rythme lent saccadé, dépeint des couleurs en lourdes couches baveuses, que des clignotements pourpres rétro-éclairés, viennent transformer en spirales lessiveuses. Comme par un souffle fort et venteux, l’animation des lumières dans l’atmosphère explose, illustrant l’air, la terre, l’eau puis le feu, des facultés communes que du vivant s’impose.
Toutes ces choses s’unissent indivisibles, qu’un ensemble modèle notre conscience du monde, rien ne se détache jamais tout s’assemble d’un fil, la nature, les lumières, l’énergie et les ondes.
Les sept lunes en lignes droite chamarrés, Soutiennent l’enseigne, du moins ce qu’il en reste, telles à des planètes parfaitement alignées, nous enjoignent à deviner leur message célestes.