Re-collección.

Angela Freres

Agnès Fornells élabore ses images en s’intéressant à la société civile hispanique et à l’imaginaire qu’elle transporte. Le langage, les habitudes, les rituels et la vie quotidienne sont explorés pour construire un point de vue sur une culture comme figure possible de l’altérité. Ces images de l’espace social, de ses mouvements et de ses objets, sont prises à l’occasion de petits séjours renouvelés. Depuis plus de dix ans, la collecte de situations et éléments disparates sont les principaux motifs des photographies et séquences filmées de l’artiste. Parfois, ces images installées en rejouent la mise en scène.
A Mexico, l’artiste cultive le regard de l’étrangère, et s’intéresse aux codes visuels d’une société coincée entre tradition et modernité, entre libéralisme et économie de la débrouille. L’exposition Re-colección propose de mêler plusieurs images et phrases récoltées à l’occasion de résidences dans le centre de Mexico en 2013 et 2015. Agnès Fornells dresse ici un portrait de la société civile, au travers de petits objets et de situations au ras du sol. Une séquence filmée, réalisée lors de la Semaine Sainte en Andalousie accompagne ce portrait, et en accentue le désir d’universalité.

Re-colección

La ville de Mexico est un big-bang à elle seule : marée citadine, population incalculable.
Le poète et chroniqueur Salvador Novo, en proposait la pratique – ejercer –, comme seul moyen d’en réussir le portrait.
Alors que les mégalopoles du XXè siècle sont, selon Rem Koolhaas, « vouées à devenir des métropoles génériques, des espaces urbains indistincts, des lieux inertes où les forces de la modernisation finiront par abolir toute différence culturelle et architecturale », le centre de Mexico semble résister à ce nivellement. C’est un lieu de système D, de débrouilles et de surprises, où les gens se retrouvent et manifestent. Les pratiques de la vie y sont devenues un rempart au nivellement urbanistique, à l’absence d’histoire projetée par la pure gestion des flux.

Depuis les années 90, la dimension singulière du centre-ville et les comportements qu’il abrite ont donné une impulsion à de nombreux artistes pour un dialogue, avec le lieu, et avec les pratiques des habitants. De cette « traversée intérieure de la mégalopole »1 , Agnès Fornells rapporte des bribes d’images et d’expressions, lues çà et là, et récoltées simplement. Ses images d’objets sont les fragments de ses journées d’exploration à pied. Une récolte urbaine, une collection, par l’intermédiaire de laquelle se dessine un rapport au tissu urbain, en dehors de toute vision totalisante : pas de cartographie, mais une pratique du lieu, et des objets comme signes de situations, précaires et usités.

Les artistes voyagent, et ce n’est pas nouveau. Au XVIIè déjà, ils rapportaient de leurs pérégrinations des images et des formes : motifs de peinture, objets divers, fabrique du paysage. L’histoire de la photographie comme celle de la peinture croise la figure et les récits du promeneur. Les artistes ont regardé, peint et documenté la naissance des premières métropoles où ils résidaient, où ils voyageaient.
Lors de ces séjours à Mexico, Agnès Fornells a exploré un point de vue en rase-motte, où l’objet fait figure d’événement : aucune mise en scène, une simple et modeste ponctuation urbaine, fragments de petites chroniques visuelles. Dans son dialogue avec ce territoire, l’artiste a choisi la première strate en hauteur, celle qui démarre à partir du sol, pour regarder la ville. La série ¿Emplacement réservé?, nous montre à quel point les objets participent du langage de la ville, la ponctuent. L’espace social répond parfois à la langue. Ici, dans l’image, les objets et constructions minimales ponctuent la rue, comme les points d’interrogation ponctuent la phrase espagnole. Discrétion et fantaisie de la langue écrite. A ces sculptures improvisées dans l’espace urbain, à ces matériaux pauvres, répond le langage simplifié de la photographie, ni grandiloquente, ni savante. Car il s’agit littéralement, dans cette Re-colección, de suivre le fil des petites actions du quotidien: des « viene viene », (les « vient vient »), auprès de qui tu dois payer pour te garer, aux recoins temporaires de l’espace privé dans l’espace public, en passant par la collecte des usages multiples de l’écrit et des petits mots de la rue. Des objets et des formes, signes du système D institué.

Texte de présentation de l’exposition Re-collección, La Ville Blanche, Marseille

Auteur·e

Angela Freres est artiste. Elle a réalisé deux masters recherche en Histoire de l’art à l’université Aix-Marseille.
Elle enseigne l’Histoire de l’art et la Culture générale à l’EMBA-La Seyne sur Mer.
Elle a été commissaire d’exposition pour La Ville Blanche, Marseille, entre 2015 et 2018.

Notes

  1. ”(…) la traversée intérieure des mégalopoles, comparables à une mer sans port”, Rubén Gallo, Mexico, chroniques littéraires d’une mégalopole baroque, Anthologie, éd. Autrement, Paris, 2007