Situation idéale.

Lou-Andréa Lassalle-Villaroya

Célie Falières, Love Language, 2025, série Dans le dévers, métal, grès cuit au bois, tilleul, corde, photo Coralie Cruchet

J’ai vu les pieds de Célie en sabots danser derrière un rideau. Elle a fait porter à une foule des claquettes de mollets pour qu’iels frappent le sol. Elle creuse la terre pour ériger des montagnes sur échasses. Elle a tiré une charrette sur les routes goudronnées. Son corps, debout, ancré et costumé, est le maître étalon de nombreuses de ses œuvres. Mais depuis peu elle grimpe et renverse le monde.
Elle a attaqué les parois.
Je l’imagine, comme dans une comédie musicale, jouant des pieds sur un mur d’où poussent des excroissances organiques qu’elle se met à escalader sans effort. Le corps semblant contenir dans sa grâce une nouvelle dynamique d’attractivité, et nous, spectacteur·ices, apprécions la magie. Nous reconnaissons l’effort, nous en étudions la faisabilité depuis le sol, où elle nous laisse, instantanément vêtus d’un baudrier saillant.
La pratique de l’escalade a tout et rien à voir avec la comédie musicale. Il y a dans le corps du danseur et du grimpeur une hyper introspection, une coordination des muscles et du cerveau, qui se ferait le message du mouvement suivant, dans une harmonie extrême de la perception et de l’agir. La grimpeuse entre dans une chorégraphie dictée par la lecture des volumes qu’elle déchiffre. Elle fait des propositions de combinaisons aux prises, comme une danseuse le ferait à un·e partenaire.
Elle est en communication géométrique avec la topographie qui la maintient en équilibre.
Célie Falières arpente une nouvelle dimension.
Elle invente une fonction à l’ornemental du lieu. Les colonnes, autour desquelles elle vient placer ses objets, ne sont plus le vestige d’une architecture spirituelle, mais une échelle organique vers une nouvelle perception. Ses prises d’escalade appellent le corps à penser son élévation, non plus mystique, mais sensuelle. Elle tend une main calleuse, nous hissant dans les rondeurs des colonnades. On peut désormais s’y lover, comme un animal se glisserait entre deux troncs. On suit du regard les repères de bois et de céramique comme une piste empruntée par un individu arboricole. Chemin énigmatique frayé vers un autre monde, dans une paroi naturelle synthétique, menant à la frondaison corinthienne, nid d’acanthe fossilisée.
Vouloir toucher le ciel d’un temple en arpentant la garniture de son décorum, n’est ce pas, sinon un blasphème, un acte politique ?
Les lieux sacrés rappellent souvent leur fonction de lieux de vie et de socialité pour continuer d’exister dans un monde qui ne justifie plus leur entretien. Cependant ils ne le sont véritablement que pour une communauté d’adeptes, comme l’est un centre d’art. Célie y ouvre une voie praticable aux vivants. Elle transforme l’espace en un laboratoire d’expériences, où même les profanes peuvent envisager d’agir en son sein. Elle propose de s’imaginer agissant·es dans le parcours.
Tout est question de placement du corps, d’où on pose ses pieds par rapport à l’espace. À quoi s’accrocher et comment doser chacune des préhensions pour adopter LA position qui nous donnera l’impression d’être à notre place ?
Si l’on ne peut exploser les fondations d’un monde qui persiste dans son déséquilibre, on peut, au moins, trouver refuge dans des espaces tangents où exercer la puissance de notre corps, et observer nos potentialités d’action depuis des belvédères conceptuels formés de notre chair et de nos formes.

Auteur·e

Lou-Andréa Lassalle-Villaroya est artiste. Les formes multiples qu’elle crée sont issues d’un travail d’écriture en constante évolution où elle réecrit son environnement familial et immédiat en traduction plastique où se mèlent de nombreuses références tant littéraires, philosophiques, théologiques que cinématographiques ou ethnographiques. Les contextes de ses productions influent directement sur l’évolution esthétique et signifiante, son intimité s’entremêle à l’architecture, aux récits fondateurs, légendes et mythes, disposant sa lignée sur un olympe échafaudé patiemment qu’elle nomme sa « Cosmogonie ».