Caméra subjective CHAMP-CONTRECHAMP.

Valérie Mazouin

Célie Falières, Monstra te esse matrem, 2025, installation

Dessiner signifie laisser des choses de côté.1

Tardivement le vent tombe, le ciel bout à bout frissonne en bleus diminués.
Le noir s’écroule, emporte tes pas où versent l’onde et l’orage : boire un peu.
Tel un trou d’air attaché au temps, l’épuisement de la bataille dans la nuit soupèse l’écho des turbulences, ouvre le décor.
Une respiration. Ton souffle est ton rythme.
Les grognements des petits animaux, à peine en soubresauts, dessinent la vie souterraine.
Les murmurations des étourneaux se délitent puis recommencent.
Les frôlements des feuillus ouvrent à une forme sombre, façonnent l’épaisseur des bois.
Un creux, tréfond géologique où le serpent vire à l’argent, offre le lieu refermé.
Gratter la mousse bleuie de la roche.
Construire des montagnes sans place en lignes aléatoires.
Les filles chantent, l’esprit est à la joie, les pieds s’emportent sans s’égarer.
Comme une lune en plein jour, l’observation t’indique d’empêcher les images qui contrarient la concentration.
Tu sais que la transformation sans tyrannie soupèse le geste.
Les jours passants, tu pétris la terre en silence, trace et taille, teinte la toile de coton.
Un bol grège, mat, à l’anse solide, au contenu chaud, déposé au hasard de l’atelier, te réconforte.
Les teintures, couleur garance, pendent, s’étalent aux fils.
L’équation domestique s’insinue et repart.
De la main à ta pensée : un gant, une bassine métallique, la nature, il te tient à cœur d’ignorer les yeux aveugles.
En altération sacrée, il s’échappe de la jarre enfournée hier, une étrange ombre chaude.
Ne pas oublier de respirer.
Célébrer les rôles de chacun·e, unir sans chronologie.
Regarder le pli de la peau.
Soyeux, laisser glisser le doigt.
Le corps dispose à présent des volumes et matières dans une absence de totale grandiloquence.
Mobile, l’étoffe abonde en mouvement circulaire, s’adapte.

Vue de l’exposition personnelle de Célie Falières Sempervirent·e, Chapelle Saint Jacques centre d’art contemporain, Saint Gaudens, 2025, photo François Deladerrière

CHAMP-CONTRECHAMP

Le récipient est un outil humain utile avec sa capacité à contenir, à conserver favorisant une prospérité durable2 .

Vouloir se baigner, que sous les pieds s’imprime une petite marque.
L’histoire racontée à l’amie, l’enfant, la sœur est une musique attentive aux rires.
Aujourd’hui, il fait doux.
Grignoter les amandes, goûter au vin frais, s’étirer dans le pré.
Garde ta mémoire en sourdine !
La maison, au choix débordant, t’emporte en entrelacements alternatifs te laissant le choix de supplanter le réel et de te tenir au bord.

Deux semaines ne sont rien, un mois n’est rien, tu te laisses envahir avec gourmandise par la vie des objets, tu éprouves l’invisible dans le visible.
La modestie des distorsions aléatoires insinue le corps comme un leitmotiv. Élément de structuration ou projection molle, peu importe, il te donne des indications, des bribes de discours.
Il est un fil de transmission en zone de turbulence, comme une crainte secrète de retenue et de force qui jamais ne se départit de l’héritage des savoirs.
Façonner le bois, peindre à la terre, continuer la taille en creux que surgissent pleins et vides, ombre et lumière.
Quand ils sont libres les enfants ne mentent pas beaucoup alors, mains sur la roche, sentir, encore. Les filles chantent, l’ours glisse de sa peau et tu disposes de temps, de mois, d’années, de la minute d’après et de celle d’avant.
Se relever dans l’espace.
Tardivement le vent tombe, le ciel bout à bout frissonne en bleus diminués.
Le noir s’écroule, emporte tes pas où versent l’onde et l’orage : boire un peu.
Tel un trou d’air attaché au temps, l’épuisement de la bataille dans la nuit soupèse l’écho des turbulences, ouvre le décor.

La caméra va chercher le moindre détail, il faut en quelque sorte sous-jouer, jouer à peine, il faut être d’une sensibilité extrême3 .

Texte écrit à l’occasion de l’exposition personnelle Sempervirent•e, Chapelle Saint Jacques centre d’art contemporain, commissaire Valérie Mazouin, 2025

Notes

  1. Silvia Bächli, Nuit et jour Night and Day, Cabinet d’art graphique, Ed. Centre Pompidou, 2007
  2. Aladin Borioli, Ruches, Ed. RVB BOOKS, 2020.
  3. Entretien avec Philippe Découflé, Danse/Cinéma, Ed. Capricci, Centre national de la danse.