Je me souviens.

Virginie Loze

  • Je me souviens de mes sous-pulls colorés dont je resserrais le col avec une épingle double par coquetterie.
  • Je me souviens de mon grand père maternel joyeux, dégustant une orange après sa sieste.
  • Je me souviens être cachée dans un carton de chocolatines à la fac de Rangueil, pour un tour de magie avant d’être découpée à la scie.
  • Je me souviens des hommes pleurant face à moi parce qu’ils savaient qu’ils allaient mourir.
  • Je me souviens, assise dans la poussette, des promenades avec ma grand-mère maternelle depuis Roques vers Muret.
  • Je me souviens de Christophe devant la TV, lui collant une fausse barbe de coton dans la sienne naissante.
  • Je me souviens de la vue aérienne et vertigineuse comme à bord d’un planeur depuis les Twin Towers à New York.
  • Je me souviens de la bise de ma grand-mère paternelle qui durait longtemps lorsqu’elle me disait bonjour.
  • Je me souviens être avec Catherine Deneuve aux toilettes d’un théâtre où, inquiète, elle se remaquillait et de ne pas avoir osé la regarder.
  • Je me souviens quand Nadine m’a dit qu’elle allait retrouver son père sous la Tour Eiffel alors que celui-ci avait disparu depuis deux ans.
  • Je me souviens lorsque Gadget a uriné sur mon frigidaire un matin de somnambulisme éthylique.
  • Je me souviens d’avoir serré la main de ceux qui ont serré la main à Dali, Warhol, Lou Reed, Jacky Kennedy, Diane Arbus.
  • Je me souviens de confondre un souvenir avec une photo souvenir.
  • Je me souviens, au ski, pour aller plus vite, d’avoir sauté depuis un télésiège et d’être restée coincée dans mon anorak sans rien voir.
  • Je me souviens qu’il est désagréable d’avoir un bout de saucisson coincé entre les dents.
  • Je me souviens des manifestants en 1968 criant « Debré, salaud, le peuple aura ta peau ! »
  • Je me souviens au lycée de Muret, on disait « La crise ! » à tout bon de champ.
  • Je me souviens de mon père maniant ses armes et l’inquiétude de ma mère.
  • Je me souviens des bulles de pétrole affleurant sur la pelouse de Wilshire Avenue à Los Angeles.
  • Je me souviens des oiseaux en liberté dans la chambre universitaire d’Yves Pol.
  • Je me souviens de la fille à la barrette incrustée dans la tête, après l’accident dans « Sailor et Lula » de David Lynch.
  • Je me souviens de Youssef, en appui sur ses phalanges, comme un gorille.
  • Je me souviens aux Beaux Arts de la chute de trente mètres d’une armoire pour le plaisir de voir comment ça fait.
  • Je me souviens quand mes parents m’ont réveillé une nuit de 1969 pour voir à la TV les premiers pas de l’homme sur la Lune.
  • Je me souviens du parfum de la fleur du frangipanier.
  • Je me souviens d’avoir pleuré en voyant l’Aurige de Delphes.
  • Je me souviens d’avoir fait l’amour sur un billard, dans un pédalo, sur les toits de Toulouse.
  • Je me souviens d’avoir déposé des violettes synthétiques et ma photo d’identité dans le cercueil de ma grand-mère paternelle.