En mains propres

Centre pénitentiaire de Béziers : l’artiste Valérie du Chéné anime un atelier expérimental. Elle a choisi pour thème : la couleur ; son désir le plus fort est de donner la parole aux prisonniers sur cette notion « incongrue », pour des hommes enfermés dans l’ombre, le gris, le sombre et la non-lumière. Cela sans sortir, si ce n’est dans la cour : le ciel bleu, la couleur des fleurs, celle des tissus et des robes, les arcs-en-ciel ne leur appartiennent plus. Oublient-t-ils pour autant la couleur, ou bien celle-ci est-elle dans leur mémoire ? (…) Au moment où elle envisageait cet atelier, et déjà y réfléchissait, nous étions ensemble en train de réaliser un ouvrage. Historienne du XVIIIème siècle, je travaille sur les archives de police, manuscrites, où sont transcrits les interrogatoires et les témoignages face aux commissaires et aux inspecteurs de police. Ma passion est de comprendre les affects, comportements et systèmes de pensée et de réflexion des « gens sans voix » et des marginaux. Je suis plongée dans des procès-verbaux de police, immergée dans l’esprit des plus déshérités auxquels on a l’habitude de n’accorder que peu d’intelligence. La prison est le lieu central de réflexion qui nous réunit. (…)

Arlette Farge, Des mains sans liberté, extrait