GUIDE DE VOYAGE : LA VILLE CÔTIÈRE.

Marie Gayet

Vous n’en reviendrez pas !

Découvrir les œuvres de Maxime Callen, artiste auteur et performeur, c’est faire l’expérience d’un léger décroché dans le réel. D’apparence sans conséquence, ce petit accroc qui commence à s’immiscer dans le cerveau se révèle au fur et à mesure plus perturbant qu’on ne le croit. C’est aussi ce qui donne tout le sel à son travail. Il balance constamment entre le vrai et le faux, le ludique et le sérieux, le réel et la fiction, la sincérité et le leurre, une folie douce. Que ce soit dans les réalisations où l’artiste se met en scène (Ma vie, la vraie, sur Instagram) où il raconte des éléments de sa vie sous la forme de l’autofiction (Les Chroniques du garage) que dans celles avec un thème (L’Alien, jeu de rôle interactif paranormal réalisé avec une classe de primaire) ou La Ville Côtière (projet de site web narratif et plus), cette oscillation permanente entretient la confusion et l’ambiguïté entre le projet artistique et la réalité, l’air de rien.


Le Guide de voyage de La Ville Côtière que l’on reçoit par courrier porte sur la couverture une pastille « À l’intérieur un aller simple vers la liberté » et sur son revers est collée une carte d’embarquement ! Si on ne savait pas que la brochure est l’œuvre d’un artiste, on pourrait (presque) croire que ce guide de voyage en est un vrai et que la Ville Côtière existe bel et bien ! Au fil des pages, on découvre ses avantages, ses lieux de vie, son fonctionnement, ses slogans. On n’y paie pas d’impôts, la consommation des stupéfiants est autorisée, ainsi que les ameliorations génétiques; les naissances se programment in vitro et l’aide active à mourir est encadrée. Sur les photos, les gens sont heureux, le sable est fin…

Vous méritez La Ville Côtière, 2024, installation et performance, vue du guide de voyage de La Ville Côtière, mockup, détail

D’où vient que ça s’enraye? Tout est trop beau, trop parfait, trop hygiéniste, trop capitaliste, trop néolibéral, trop totalitaire, trop inhumain. Et comment vivre heureux dans un monde qui fait de «la proprité une règle, de la liberté un étendard et de l’égoïsme une vertu» ?


Car c’est cela aussi le programme de La Ville Côtière, inspiré en partie du Parti Libertarien ultralibéral, bien réel, qui existe aux Etats-Unis, et dont le principe premier est que rien n’est interdit ! L’aspect faussement positif du projet artistique n’en renforce que davantage sa charge critique et politique. À retourner comme un gant, pour mieux faire apparaître l’artificialité, les distorsions et la manipulation du langage. II est tout aussi possible de dire que tout est vrai ou tout est faux, et même les deux en même temps !

En prolongement du site web et du Guide de voyage en édition papier ; Maxime Callen a fabriqué récemment un triporteur avec lequel il envisage des tournées pour distribuer le Guide de voyage, des flyers thématiques et des bulletins de participation. Qui sait si certains ne seront pas tentés par un petit séjour sur la Ville Côtière ?


La promotion avec le triporteur est à suivre sur le compte Instagram de l’artiste.

Texte publié dans l’ouvrage critique de Marie Gayet Écritures transversales, Caza d’Oro, Le Mas d’Azil, 2024

Écritures transversales

Écritures transversales est la restitution d’une résidence de recherche et d’écriture en Occitanie autour des pratiques d’écritures contemporaines et de l’écrit dans l’art. Sur une invitation du centre d’art Caza d’Oro en Ariège.

Auteur·e

Marie Gayet est commissaire d’exposition indépendante, critique d’art et enseignante. Elle s’intéresse à la jeune création, sans distinction de médiums et aux pratiques transdisciplinaires, dans la relation Image-texte et voix. Collaboratrice à diverses revues (Esse, Artais-Art contemporain, Possible), elle intervient pour l’Observatoire de l’Art Contemporain et dans des écoles du marché de l’art (Master 1et 2 Arts contemporains et commissariat à l’IESA). Pour C-E-A, elle co-organise de 2018 à 2021 les événements Public Pool autour des nouvelles écritures et de la performance, à Paris et en région (ccc od de Tours, Frac Champagne-Ardenne). En 2022, est parue la monographie « Bruno Rousselot - Du dessin à l’espace » (éd.Hermann) dont elle est co-autrice et a assuré la coordination éditoriale. En 2023, après l’exposition Voci Umane au Village Reille à Paris (2022), elle est Invitée par le centre d’art Caza d’Oro (09) pour une résidence de recherche et d’écriture en Occitanie, sur les pratiques de l’écrit dans l’art et la performance. Elle fait partie du Conseil d’Administration de C-E-A / Association française des commissaires d’exposition et est membre de l’AICA France, Association internationale des critiques d’art, nommée pour le Prix Aica en 2022.