Signes disséminés.

Philippe Saulle

Depuis quelques années Marion Mounic se rapproche de ses racines, omises. Elles lui apprennent un monde et ses réalités longtemps fantasmées au contact du Maroc qu’elle parcourt depuis 2016. Ce sont des gestes plus que des images qu’elle produit pour des installations, assemblages et dispositifs souvent lumineux chargés de signes et de textes, ainsi que des performances culinaires et musicales. Évoquer cette notion de commensalité, de partage avec des compagnons de table, où la condition féminine est intrinsèque au sujet est une préoccupation centrale de l’artiste. Sur un immense monochrome réalisé au henné, elle inscrit cette phrase simple, L’amour n’est pas un crime, en lettres arabes, qui s’affichait fièrement dans les manifestations de femmes pour une émancipation qui tarde à venir. Ces signataires du manifeste 490 pour la liberté sexuelle au Maroc prennent beaucoup de
risques. Elles seront suivies par celles et ceux manifestant contre l’article 489 qui proscrit toutes relations homosexuelles. Avec ses engagements directement politiques, Marion Mounic nous entraîne ailleurs vers des dispositifs immersif. Barma. Une salle baignée d’une lumière rouge, comme celle d’un hammam mais à l’odeur de savon noir. Ou bien dans l’installation L’guelsa, petit camp de cuisine spontané à l’odeur de merguez. Des sensations contradictoires assaillent les personnes immergées.
En ethnologue de l’instant et de l’image des objets, Marion Mounic ponctue l’espace de parasols, cocottes-minute, glacières, chaises et tables en plastique, casseroles en alu qui fournissent à l’artiste les signes fragiles d’un « être là »… Où les vents et les événements
nous attirent ou nous poussent.
Marion s’associe avec Jules Ribis, vigneron-musicien, pour ses performances de cuisine et sons. Elle fabrique, par exemple, des Maâkoudas, beignets de pomme de terre partagés avec le public. Durant la cuisine, Jules enregistre les sons qu’il travaille en boucles, offrant ainsi, en plus du plaisir visuel, olfactif et gustatif, une musique qui au fur et à mesure de la recette se fait de plus en plus festive.
Le dernier projet du duo est de fabriquer de l’alcool de Capri-Sun®. Une boisson pour les ados inventée en Allemagne dans les années 60 avec eau de source, jus de fruits à base de concentré, sucres et acide ascorbique. Il s’en vend plus de 6 milliards de poches souples par an, très loin derrière coca-cola, mais pour beaucoup de consommateurs c’est une alternative au soda américain. Une sorte de pied de nez résistant, pourtant… c’est ce dernier qui commercialise Capri-Sun. Bref, encore une arnaque, trop sucrée, polluante… Un piège pour mômes. L’installation Capri-Seum pousse le curseur. Le seum est ce poison de l’âme, un dépit ou un ressentiment. Bricolage d’alambic, cocotte-minute menaçante, bonbonne de gaz, le feu et le statut de l’alcool, interdit, clandestin, caché forment un sous-texte d’une résistance claire aux venins du monde. L’action Capri-Seum n’est finalement plus réellement performative tellement un temps long est nécessaire. A Sète le dispositif et la macération, à Lisbonne la lente distillation et la dégustation pour un verre partagé qui tente de distiller le désastre qui nous hante ou nous menace.