Aux sources.
Julie Crenn
D’où vient, d’où vient-il
Que tu en aies
et les yeux
et les lèvres
et la couleur
et la chair de sapotille
Dont la saveur en EXIL m’obsède tant.
Léon-Gontran Damas – Pigments – Névralgies (1972)
Marion Mounic travaille l’espace, la lumière, le temps et la mémoire. Ses installations, qui relèvent toujours de la sculpture, engagent une résistance face à l’oubli et l’obscurité. La résistance est activée par l’expérience physique et sensorielle. L’artiste imagine des dispositifs visant à perturber nos sens, nous plongeant par exemple dans un espace étroit, enfumé humant fort la merguez (Merguez, 2017). L’œuvre, une expérience spatiale, visuelle, physique, olfactive, réunit les problématiques de sa réflexion plastique et critique. Marion Mounic poursuit différentes sources : celle de sa mère, atteinte d’une maladie oculaire, ainsi que celle ses origines, qui par son père, sont intimement liées au Maroc. Elle s’y rend une première fois en 2016, pour voir, pour sentir, pour comprendre. Elle est attentive aux détails du quotidien, aux comportements, aux habitudes, aux matériaux. Sur un toit-terrasse, elle observe la disposition des assises et d’un parasol qui forment une ronde. Une chaise en métal et en plastique, des parpaings et quelques morceaux de carton pour un minimum de confort. La disposition correspond aux mouvements de l’ombre et de la lumière au fil des heures de la journée. Marion Mounic restitue le salon durablement improvisé (Teh le Bled, 2017). Il devient un espace de possibilités de rencontres, de discussions, d’apparitions et de réminiscences. L’œuvre est une archive à échelle 1 d’un souvenir, d’une mémoire qui se fabrique.
Il s’agit alors de retenir des sensations : l’huile d’olive dans la cuisine, les cocottes minute, une enseigne en néon, le soleil dans les yeux, l’odeur de la poussière. Ces éléments réapparaissent de manière plastique. Ainsi, l’artiste plonge le Coran dans un bain d’huile d’olive (Propre cuisine, 2018), elle branche des cocottes minute à des moteurs, qui, posées au sol, entament d’une danse étrange dotée de cadences différentes (Samâ’, 2018).
Ces œuvres traitent par extension du rôle des femmes, qui assignées à l’espace domestique, créent un territoire de paroles et de gestes résistants.
En filigrane de la pratique de Marion Mounic, se joue en effet une histoire de femmes. Plusieurs œuvres reposent sur une volonté de traduire les défauts de vision de sa mère dus à la maladie de Stargardt. Une maladie héréditaire qui trouble la vision centrale, sans pour autant en perturber la vision périphérique.
La vue est ainsi altérée au niveau des couleurs et de la lumière. Des œuvres comme Chroma (2018), Angiographie (2018), Open (2018) ou Macula (2018) génèrent des expériences sensorielles s’efforçant à reproduire la vue de sa mère. Nos corps sont mis à l’épreuve de l’obscurité, de l’espace, de la lumière. Entre révélation et disparition, l’artiste articule les espaces symboliques pour tenter de matérialiser l’indicible. Elle réalise en ce sens une réplique en porcelaine d’une carte d’anniversaire reçue d’une tante aujourd’hui disparue (Relique, 2016). Si le texte est absent, l’attachement et le souvenir sont incrustés dans l’objet fragile et immaculé. Il s’agit alors de prendre la mémoire à bras le corps, de nous la faire voir, sentir, toucher, entendre. Marion Mounic recherche les sources de cette mémoire, la sienne, celle de sa famille et par extension des nôtres. Ses œuvres manifestent autant une mélancolie de l’impuissance vis-à-vis d’une disparition inéluctable, qu’un élan vital, un empressement poétique s’attachant à retenir tout ce qui s’enfuit.