Love Canal
2017
film 2K 5.1
18 minutes
Il a y 300 millions d’années, le Nord de la France était un marécage. Il y a 140 ans, un canal est creusé et jamais mis en eau. Un jour, des vagabonds décident de descendre un fleuve invisible et ramassent en chemin les débris d’un monde pour en commencer un autre. Le film prend comme point de départ le scandale environnemental de Love Canal (Niagara Falls, NY, USA) qui mènera à l’adoption du Superfund act (1986), première lois de protection environnementale s’intéressant aux sites pollués par l’industrie. De là, par translation, un chemin se trace à travers les paysages post-industriels du Nord de la France. Le geste qui motive la prospection minérale déployée dans ce film ne renvoie qu’à la relance d’une énigme : on croise la ruine d’une voi- ture, un smartphone brisé qui anticipe et signe toutes les brisures à l’oeuvre, celle que la technique fait subir aux roches, aux pierres, au monde lui-même, dont la matière s’effrite, se dissout et fond, jusqu’à son propre devenir-trou, où l’on saute à son tour pour entrer dans le noir. L’absence de matière existe-t-elle ? Le trou, le noir, le trou noir, peut-on les rencontrer ? Il me semble que ces questions tra- ment ce film comme un sable énigmatique ; elles interrogent moins l’origine que le futur de la pierre, et celui de toute forme. La petite communauté d’êtres humains qui cherchent ce futur en s’enfonçant toujours plus loin dans la division de l’être, dans le morcellement de la physis, semble s’ouvrir à une transmission sans limite, celle qui fait passer les morceaux de la terre d’une main à une autre, celle qui découvre et fait naître, et, en veillant sur la matière, nous confie sa métamorphose.
Yannick Haenel, extrait du catalogue Panorama 19 – Roman – L’élégance, la science, la violence !, 2017
© Adagp, Paris