Portrait d'artiste.
Maya Trufaut
Aller à la rencontre des œuvres d’Audrey Martin, c’est se confronter à une énigme. Son travail est traversé de questionnements et d’incertitudes, comme une interrogation adressée au spectateur et à elle-même. Comment capturer l’insaisissable ? Comment rendre visible l’invisible ? Lorsqu’elle imagine ses pièces, son atelier se transforme en laboratoire où l’artiste expérimente à la manière d’une scientifique, avec rigueur et discernement. Ses œuvres sont des hypothèses, des procédés, comme une recherche sans cesse renouvelée de l’indicible.
Pourtant, elle écoute aussi ses ressentis. Créer, c’est une manière pour elle de faire le lien entre l’art et la science, d’interpréter des phénomènes physiques par le prisme d’une subjectivité émotionnelle. Audrey Martin puise son inspiration dans les mystères qui dépassent l’humanité, parfois inconcevables, et tente d’y réagir de façon singulière. Les mots remplacent parfois l’image, et l’image les mots, et c’est entre les deux que l’artiste retranscrit ses explorations sensibles. Si les formes employées sont diverses, on retrouve néanmoins dans ses œuvres des préoccupations communes.
Au-delà d’un vif intérêt pour le cosmos dont la présence du sujet est continuelle dans sa recherche, Audrey Martin s’interroge sur les potentialités de la catastrophe et sa représentation. Est-il au moins possible de documenter l’apocalypse ? La question la taraude et fait la liaison entre la majeure partie de ses œuvres. Déjà en 2013, dans Global Damages, elle exposait des cartes postales sur lesquelles étaient imprimées des données générées sur un site scientifique permettant de simuler l’impact d’une météorite sur la Terre. Ici, les chiffres remplaçaient la vision chaotique, mais plus tard, en 2019, l’artiste prend le contre-pied. C’est l’image de ballons-sondes dégonflés dans Ruines qui peut évoquer à elle seule le choc de la destruction.
Cette notion de détérioration est également tout un pan de son travail. Voir évoluer une œuvre, lui donner vie et puis choisir de la lui ôter ou tout simplement de la laisser mourir, c’est une manière d’aborder la fragilité de la création. Dans cette idée, l’installation Dé-paysages, en 2015, donnait à voir le protocole de désintégration progressive d’une photographie à l’aide de produits chimiques. En 45 minutes, sous l’œil interloqué du public, l’artiste ouvrait la réflexion sur le caractère éphémère de l’image produite et la possibilité de la perdre à jamais.
Audrey Martin n’a pas la réponse aux questions qu’elle soulève. Elle ne s’intéresse pas tant à la finalité, mais au processus infini de recherche qui s’ouvre à elle. Le mystère est partout : dans les astres, dans le monde, dans les autres, en elle-même. Si elle ne résout pas l’énigme, elle l’exploite ; elle devient une matière que l’artiste, insatiable, ne cesse d’explorer.