Des images longtemps inimaginables.
Karine Mathieu
Les oeuvres d’Audrey Martin dépassent la simple temporalité du réel, de ce qui se donne à voir pour se tourner vers la beauté de l’imperceptible. Elle observe, creuse et étudie les mystères de nos mondes. C’est dans l’esprit des sciences qu’elle exhume les phénomènes qui nous entourent pour en extraire sa propre exploration, sa propre valeur universelle. Telle une chercheuse de l’invisible, elle enquête sur l’ensemble de tout ce qui existe, qui régit l’univers : ses mystères et ses lois.
Il s’agit pour l’artiste de dévoiler les forces terrestres et célestes dans ce qu’elles ont de plus impalpables. De la physique à la magie, ses oeuvres touchent à cet entre-deux, véritable territoire de sa production artistique. L’hypothèse des réalités se matérialise alors dans une création du supra sensible.
Les oeuvres se présentent ou s’absentent dans une limite du perceptible, le visiteur glisse dans une rencontre avec l’inframince1. Audrey Martin fait apparaître ce qui disparaît.
Dans des dispositifs de mise en espace, l’artiste déploie de délicats protocoles artistiques. Elle rejoue sans limite de temps les oeuvres créées, qu’elle reconvoque afin d’investir le mystère de sa création.
L’installation dé-paysages témoigne de cette démarche. Conçue comme un mini laboratoire, l’artiste fait se dissiper, à l’aide d’un mélange chimique, un paysage enfermé dans un cadre de verre. D’une durée initiale de 37 minutes, cette expérience esthétique se distant en fonction des lieux d‘exposition et de leurs capacités à relever le défi du procédé mis en oeuvre. Certains ne verront jamais l’absence du paysage en direct, seulement les ruines de cette disparition. D’autres auront vécu la rencontre en toute intimité, le temps d’un rendez-vous.
L’artiste délite les temporalités mêmes de ses oeuvres. Avec Time Capture , des nuances de bleu du ciel de la fin de l’après-midi jusqu’à la nuit sont photographiées et cartographiées. Cette prise du temps se produit deux siècles jour pour jour après l’éruption volcanique du Tambora. Cette oeuvre conçue en 2015 se mue à nouveau en 2019.
Là encore, l’artiste nous bouscule dans notre rapport même à l’image de l’oeuvre d’art « figée » dans un espace d’exposition. Elle réanime sans cesse ce qu’elle commémore, elle se joue des codes imposés par l’art pour repousser les frontières du regardeur sur l’oeuvre.
L’essence même de l’image se métamorphose continuellement dans de nouvelles perceptions. Le public pénètre dans une nouvelle dimension où la connaissance et l’émotion se cristallisent.
Audrey Martin capture ce qui apparaît à la conscience.
L’exposition au CACN s’envisage comme un système global de reprogrammation, de reconvocation des formes pour constituer une véritable cosmologie artistique.
Du chercheur d’or au chasseur d’orage, en passant par les énigmes de l’univers et de la cosmogonie, l’artiste prospecte et collecte ces pratiques humaines tentant de maîtriser les faits naturels. Elle défie l’ordre établi.
Ainsi, des créations telles que Des images longtemps inimaginables vont périr puis se régénérer le temps de l’ouverture publique pour convoquer l’invisible et tenter de le révéler.
Dans une expérience de la finesse, Audrey Martin bouscule les lois de la nature : dévisager le temps pour mieux scruter les phénomènes imperceptibles de nos mondes, effleurer notre rétine pour mieux en extraire les sources de l’émotion.