Nicolas Puyjalon / Portrait
Valérie Toubas et Daniel Guionnet
Lors de ses performances, Nicolas Puyjalon construit des dispositifs de fortune avec des matériaux de récupération. Planches de bois, tiges de fer assemblées avec quelques pointes, un peu de ficelle, et même du scotch composent des structures brinquebalantes. Des assemblages qu’il érige, tel Le Mont Analogue (2009-2017), une performance inspirée d’un roman de René Daumal, au centre d’un îlot matérialisé au sol par des bandes adhésives.
Des accumulations qu’il gravit ou chevauche, faisant fi de leur résistance au poids du corps, dans un geste à la fois d’exploit sportif et de tentative désespérée. Pour Nothing else mattress, réalisée en collaboration avec Zabo Chabiland pour le mois de la performance à Berlin (Post-Coital Tristesse, mai 2015), un empilement de matelas pneumatiques se transforme en une attraction drolatique. Les deux artistes, en escaladant la structure, la dégonflent par leur poids et actionnent par là-même des instruments de musique branchés aux valves des matelas. Réalisés dans des espaces d’exposition, des galeries en appartement qui sont aussi des espaces de vie dont il redessine les contours à l’adhésif, ces édifices forment de véritables « petits scénarii d’intérieur ». Ils sont comparables aux constructions fantasmatiques que l’on trouve dans les contes, et qui dans l’imaginaire enfantin, deviennent le support de nouveaux récits extraordinaires. Le public est d’ailleurs très réceptif à ces références communes qui sous-tendent de la performance. Construire, gravir, traverser, voguer… les actions qui composent les performances de Nicolas Puyjalon se transforment en aventures aux multiples rebondissements. Elles inscrivent le corps de l’artiste dans une temporalité qui crée véritablement une tension. D’ailleurs celui-ci constate que « les spectateurs rentrent très vite dans l’histoire avec ce sentiment de peur et d’envie » qu’il arrive sain et sauf à la fin de l’aventure.
Nicolas Puyjalon exploite un registre de gestes acquis depuis l’enfance, qu’il rejoue lors de ses performances avec une énergie non contenue jusqu’à troubler les spectateurs. Pendant ses performances, l’artiste est dans un effort important et répété, qui suscite l’adhésion au point que parfois, dans ce caractère haletant de la performance, certains spectateurs ne peuvent rester inactifs et lui proposent leur aide. Exécutée dans les salles du Musée de la Chasse et de la Nature à Paris, la performance À Dada sur mon bidet (2013), retrace une chasse à courre « rocambolesque » où, cravache à la main, l’artiste traverse les collections du Musée parisien sur une monture composée de tubes en carton. Au caractère patrimonial et au registre très codifié des cérémonies qui caractérisent la vènerie, Nicolas Puyjalon répond par une posture enfantine, mêlant dérision et absurde. Le titre même de la performance renvoie à une dimension carnavalesque d’inversion des valeurs.
En l’activant par l’imaginaire, l’artiste donne une « autre lecture du musée », non figée. Pour aider au basculement dans cet autre monde, il diffuse l’enregistrement des aboiements d’une meute de chiens avec un mégaphone. Cette « traversée » est pour l’artiste animée par la volonté « d’aller au bout de son désir ». Ici, celui de parcourir le musée accompagné par « une meute de chiens sonores » suivi dans cette cavalcade fantaisiste, de salles en salles, par le public, les tubes en carton heurtant le mobilier et bousculant l’atmosphère feutrée et quelque peu sacrée du musée.
En contrepoint de ce caractère parfois absurde, de bric et de broc, ces espaces de jeu créés de toutes pièces prennent une dimension poétique. Ainsi, la performance Au clair de la lune (2010-2013), née du désir de composer une chanson à partir de l’itinéraire qu’emprunteraient deux capitaines de vaisseau se guidant grâce aux étoiles, s’érige en une sculpture en forme d’alphabet. Des tasseaux de bois que l’artiste escalade pour y accrocher des étoiles avec toujours cette difficulté que la structure manque à chaque fois de s’écrouler. L’artiste se confronte à l’échec, celui de l’effondrement pourtant annoncé de ces montagnes de matériaux qui clôture le récit de ses performances devant un public acquis à sa cause.
À partir de la thématique de la performance et de l’environnement dans lequel elle a pris place, Nicolas Puyjalon compose des « partitions », des œuvres plastiques venant leur donner une forme de continuité. Le développement de ses univers peut ainsi s’incarner dans une broderie inspirée des tapisseries du Musée de la Chasse, des dessins ou encore des assiettes en céramique, seuls témoins, avec le public, de la performance.