A propos du FID Marseille.

Occitane Lacurie et Barnabé Sauvage

Sweat d’Elsa Brès débute comme un film d’époque minimaliste : un explorateur, chemise bouffante à la mode du XVIIème siècle français sur les épaules, est abandonné dans une jungle indéterminée, avant que la présence d’une ligne à haute tension et d’une quatre-voies à l’arrière-plan ne trahisse rapidement la date et les lieux de son errance. L’arpentage de ce corsaire loufoque, muni d’une carte jaunie et visiblement dépassée de la Louisiane, égrenant sans interruption le compte d’une mesure sans objet défini (tour à tour calculée à l’empan, à la foulée ou à la seconde), déterminera les contours mouvants d’un film dévoué à la description d’espaces impossibles — et dans lequel le personnage du prélude finira par se noyer. Prenant le Mississippi pour paradigme d’une cartomanie sans cesse défiée par les forces du territoire, Elsa Brès rappelle fugitivement à l’écran l’entreprise du cartographe du génie militaire américain Harold Fisk, qui de 1941 à 1944 avait tracé sur une carte d’état- major les méandres fantômes du « Nil d’Amérique » avant que son cours ne soit définitivement fixé par la main de l’homme. Imprimée sur papier, elle finira déchirée entre les pattes d’un chien. Sa débauche de couleurs magnifiques et son tracé sinueux seront plus tard remémorés par la lueur verdâtre d’une carte interactive manipulée sur écran tactile, celle du site de cartographie des vents EarthWindMavp, braquée sur le delta : traversé de flux éolien à mesure qu’est décrite en voix off la remontée obstinée des saumons le long de cette « rivière démente » (psycho river), l’écran témoigne de cette impossibilité fondamentale à tracer une frontière étanche entre les différents états de la nature et de la matière. Essai de cartographie vécue, Sweat se présente jusque dans sa dernière forme comme une réaction du corps à l’environnement : dans une ultime scène nocturne, dérivant sur le fleuve, un torrent d’insectes attirés par la lumière cherche à imprimer sa marque sur le corps nu du personnage féminin. Le dispositif, qui n’est pas sans rappeler celui de Moth de Stan Brakhage, parachève le projet d’une archivistique sensible dans laquelle l’histoire des êtres serait nécessairement abandonnée au profit de celle de leur transformation.

Revue Débordements, août 2020