Soubassement.
Jérôme Dupeyrat
Depuis près d’une dizaine d’années, David Coste construit, par son travail, des territoires alternativement utopiques, hétérotopiques ou dystopiques, dans une oscillation constante entre réalité et fiction. La circulation et la réinterprétation des images sont au fondement de sa démarche, qui se déploie de plus en plus dans une convergence des pratiques du dessin, de la photographie et de l’installation.
L’exposition en cours à la Chapelle Saint-Jacques est de ce point de vue un nœud dans le travail de l’artiste, permettant la résolution de questionnements antérieurs tout autant que le déploiement de nouvelles pistes : un Soubassement pour les projets à venir, ainsi que le suggère le titre de l’exposition. Ce terme résonne également avec un certain nombre de motifs souterrains (grottes, abris) qui apparaissent de façon récurrente dans les œuvres exposées. Il qualifie enfin une scénographie attirée vers le bas : œuvres disposées au sol, panneaux adossés à la partie inférieure des murs. La figure du soubassement renvoie donc autant à un état du travail qu’à son contenu et à la façon de le montrer. Cette corrélation est récurrente chez David Coste. Elle résulte en particulier d’une circulation des motifs et des dispositifs du travail au sein du travail lui-même. Une grotte, un abris souterrain anti-atomique, le château Disney, la montagne servant de logo à la Paramount, un lac : tel objet dessiné ici réapparait ailleurs en relation à un autre élément, ou devient une sculpture, à l’instar de ces rochers (Red Rock, 2014) que l’on retrouve à la fois dans plusieurs dessins et dans l’espace du centre d’art, sous la forme de très grandes impressions photographiques froissées pour former des volumes. De même, nombre de dispositifs concourant à la monstration des images (châssis, panneaux, plateaux) proviennent de dessins où ils apparaissent comme d’inquiétants décors, ou bien y sont transposés.
Ces représentations ont pour beaucoup d’entre elles des sources que David Coste réinterprète par sa pratique graphique, qui médiatise sa relation à l’archive et aux documents : photographies prises par l’artiste ou par d’autres auteurs (Diane Arbus par exemple), iconographie puisée dans des livres et magazines, cartes postales, puzzles, images d’exploitation cinématographique… Si ces sources ne sont pas forcément identifiables, leur existence est néanmoins révélée par divers indices : ainsi l’un des dessins inclue-t-il par exemple la représentation — elle aussi dessinée — de l’image photographique qui lui sert de source. Plus généralement, on peut présumer l’origine largement photographique de ce travail de par la façon dont sont composés les dessins, selon des logiques de montage et de collage qui appartiennent initialement à l’histoire de la photographie et de l’imprimé.
Certaines œuvres reproduisent des sites naturels, d’autres des lieux artificiels, des décors factices ou, de façon plus ambivalente, des lieux naturels ayant servi de décors pour des films. Mais toutes ces représentations deviennent alors identiquement concrètes, et donc vraies du point de vue de la réception, constituant dans leur agencement une topographie que le spectateur peut arpenter.
Bien que l’exposition semble être le « décor » d’un scénario fictionnel, ce terme n’est donc que partiellement adéquat. Une typologie de décors (studios photo, matte painting, etc.) transparait certes dans ce travail. Mais alors qu’un décor possède un devant, qui crée l’espace fictionnel, et un envers, qui révèle la césure entre la réalité et la fiction, le travail de David Coste n’a pas pour enjeu de dissocier le vrai du faux ou le réel du fictif, mais plutôt d’envisager leur porosité ou même leur possible inversion.
Si décor il devait y avoir, on ne saurait alors jamais avec certitude de quel côté on s’en trouverait. L’œuvre la plus emblématique de ce point de vue est une grande photographie d’un paysage irradié en son centre par un halo lumineux, imprimée sur altuglas (Flare, 2014, 4 x 2,60 m), montée sur un châssis dressé dans l’espace d’exposition et rétroéclairée : a priori, l’œuvre est faite pour être vue de face, mais l’arrière du châssis révèle un espace construit qui a ses qualités propres, et où l’image est également visible, quoique de façon résiduelle.
Ces éléments qui semblent dessiner les contours d’une fiction n’ont en fait pas pour fonction d’en permettre l’écriture ou d’en supporter la narration. Ils sont davantage, dans leur agencement, un système de production et de monstration d’images. De ces images et de leurs relations, il s’agit alors simplement, mais réellement, de faire l’expérience.