Paul Maheke.
Eliel Jones
Bien que la plupart d’entre nous aient pu découvrir les œuvres de Paul Maheke à travers ses performances et ses danses, la première pratique de l’artiste est principalement constituée de dessins et d’œuvres murales. Dans l’un de ses six dessins de la série Le Fantôme (2011), une paire d’yeux apparaît légèrement dessinée sur une feuille blanche quasi vide. Créés avec un pigment iridescent nacré, ces yeux affirment de manière perçante une présence, mettant en évidence un visage manquant, accentuant ces restes, ce qui, bien que ses contours soient cachés ou absents, marque néanmoins sa présence obsédante.
À travers de multiples formes et disciplines artistiques, Paul Maheke a mené une recherche sur le long terme sur la manière dont les corps, les récits et les histoires marginalisés sont accentués et dissimulés. En luttant contre un questionnement sur l’identité qui s’inscrit uniquement dans le cadre de la politique identitaire, la trajectoire de Paul Maheke a continuellement été canalisée par des sensations spectrales. L’artiste a fait appel à des fantômes, des esprits et des êtres inhumains dans ses œuvres pour inciter une réorientation de la manière dont nous, les spectateurs, sommes capables de percevoir – c’est-à dire pour recadrer la manière de voir, de sentir et d’écouter. En configurant à nouveau le sensible, Maheke cherche à remanier les systèmes dominants de production et de compréhension du discours qui dépendent fortement de la représentation, de la visibilité et de la lisibilité en tant que formes ultimes de vérité, de valeur et de pouvoir. L’artiste favorise plutôt la formation d’un individu par un état d’entre-deux, dans lequel les connaissances ésotériques, spirituelles, suspectes et incarnées aident Maheke à recueillir le potentiel de prophétie.
Pour sa première exposition personnelle dans une institution en France, à Triangle à Marseille, Paul Maheke a invoqué « OOLOI », la troisième figure sexuelle des extraterrestres « Oankali » de la trilogie de science-fiction d’Octavia Butler, Xenogenesis. Cette entité fictive, et pourtant réelle, a imprégné l’espace d’un champ sensoriel accru, dans lequel les mots, la lumière, les sons et même les mouvements subtils ont fait un clin d’œil à sa présence invisible. Suspendus du sol au plafond sur l’immense étendue de la Friche Belle de Mai, l’ondulation des rideaux écarlates ont un effet sensoriel particulier. Partitionnant et divisant une pièce matériellement vide de cette ancienne usine de tabac, les rideaux créent une profondeur de champ, brouillant la vision. Le corps de Paul Maheke apparait et disparait à travers ces rideaux dans le cadre de Sènsa (2019), performance dans laquelle l’artiste se meut dans l’espace, se rendant parfois aussi peu visible – et pourtant autant tangible que « OOLOI ». À travers ses stratégies de (dés)apparition par la nature improvisée de ses mouvements, Sènsa défait les efforts du canon occidental de dévalorisation du transcendental en insistant sur ce qui est ressenti plutôt que sur ce qui est vu ; en se fiant aux connaissances du corps et l’esprit, plutôt qu’à ce qu’on lui a demandé d’apprendre.
Diable Blanc (2019), la deuxième exposition personnelle de Paul Maheke, à la galerie Sultana à Paris, cherche à dissiper l’invisibilité considérée comme synonyme d’absence, appelant donc l’occulte à occuper l’espace. Pour Possédé·e·s, l’artiste revisite certaines de ces œuvres. Ici, des dessins en 3D gravés au laser dans des cubes de verre représentent des diables du style de la peinture symboliste européenne : leur titre même dissocie leur « nature » angélique, fébrile et innocente de leurs forces diaboliques, puissantes et conséquentes. La chouette effraie – symbole récurrent tant réparateur dans la pratique de l’artiste – fait également une apparition. Considérée comme le messager d’histoires inépuisables, l’effraie des clochers porte en elle la sagesse et le savoir, mettant en lumière ce qui est trop souvent laissé dans les ténèbres.