Laisse à désirer.
Tania Hautin-Trémolières
Si Mazaccio & Drowilal était un groupe de musique, cette exposition pourrait être un album best of en coffret collector. Une sorte de medley de leur production de ces dix dernières années. On pourrait parler de rétrospective si le terme n’évoquait pas autant la commémoration figée et définitive qui convient assez peu à la vitalité de leur travail. On préfèrera l’idée d’une exposition compilation, rassemblant les livres et les différentes séries produites depuis 2011 dont sont extraites les oeuvres présentées et ré-agencées entre elles dans l’espace du CACN. Bien que posant un regard rétrospectif sur leur travail, l’exposition échappe à la tentation d’une construction chronologique, mélangeant ainsi les séries entre elles, générant de nouvelles associations et de nouvelles significations des oeuvres.
Elise Mazac et Robert Drowilal sont véritablement les enfants d’une culture visuelle populaire façonnée dans ces années 90 où les champs de connaissances et de vision se sont élargis avec internet, espace infini où circule en permanence une profusion d’images. Leur travail ne repose pas sur la photographie mais s’inscrit autour d’elle, dans ses pourtours. Le duo explore le pouvoir de représentation que les images suscitent sur la construction de nos identités et de nos imaginaires.
Photographies de chiens ou chats qui peuplent nos réseaux, de stars, photographies de peintures de la Renaissance, de Miss ou de coureurs automobiles, portraits des artistes… Le duo appréhende le flux visuel de notre époque par le collage, à la fois comme méthode formelle mais aussi comme mode de pensée de l’image et de nos représentations. Pour définir leur pratique, les artistes préfèrent d’ailleurs utiliser le terme de « collimage ». Le collage comme agencement, comme (dé)composition de l’image, comme appréhension du monde.
Qu’est-ce qu’une image ? La langue française, capable d’être si inventive pour multiplier les synonymes, semble demeurer assez pauvre pour définir ce mot aux nombreux sens. Mais on oublie souvent que l’image est une construction en soi, et une construction de soi dans une époque comme la nôtre. Pour exposer leur décennie et les oeuvres choisies, les artistes ont habillé les murs du centre d’art de peintures monochromes dans différentes nuances de chair - « fond de teint », « délice bronzé », « tangerine sucré »… Y sont apposés des éléments de textes découpés, conçus sur le principe de l’« avant/ après » comme un clin d’oeil à ces montages photos qui spamment nos réseaux sociaux ou nos pages internet pour promouvoir des régimes douteux ou des opérations esthétiques. Mais seuls subsistent les éléments typographiques et cette mise en scène en diptyque dans l’espace du centre d’art compose un nouveau collage de et avec leurs oeuvres.
L’exposition toute entière compile le thème du double dans le travail de Mazaccio & Drowilal. Une mère et son enfant - Babies. Un couple d’animaux devant un paysage - Seasons. Deux personnages ou personnalités côte à côte - Iconology. Ici, le double est un motif.
Mais le double est aussi agencement. Un procédé formel de juxtaposition qui crée des associations visuelles entre deux images n’ayant a priori rien en commun. Des coureurs automobiles s’arrosant de champagne et des Miss lauréates en larmes de joie - Champagne. Peinture aérosol, emballage plastique, ou encore adhésif estampillé « Mazaccio & Drowilal » : le travail plastique, presque pictural, de l’image imprimée permet une mise en relation de ces photographies qui viennent se nourrir de sens nouveaux - Iconology.
Parfois le double est un sosie. Comme cette composition d’une multitude de photographies de stars posant avec leur statue de cire - Paparazzi. Comme ce jeu de ressemblances imaginaires mis en place entre des portraits d’Elise Mazac « Mazaccio » et d’Henri Salvador, Barbara Streisand, le lama du dessin animé Kuzco ou d’un beau cocker doré. Notre regard est construit sur le besoin de similarités. Nous cherchons à voir des points communs, quitte à en inventer. L’image, selon son agencement, a un pouvoir infini de persuasion.
Le double est également duo. Ce que le travail de Mazaccio & Drowilal fait émerger en creux, c’est l’image comme support de construction des identités. Une confusion des identités qui s’étend à celles des artistes : Elise et Robert sont Mazaccio & Drowilal, troisième entité issue de leur association. Le duo travaille sur sa propre image, sa mise en scène, un peu comme une marque, et recréée à l’envi sa propre mythologie. Tantôt en couverture de magazine business - Success - ou exposant des maillots de foot à leur nom - Gold Sponsor - les artistes se réapproprient les postures de succès et les formes de célébration des icônes de notre temps.
Enfin, l’image est un double. Dans leur production, le thème de l’icône et de la célébrité est récurrent, traduisant l’ambivalence de notre rapport à ces figures. Attraction-répulsion. Les images de stars sont à la fois un paroxysme de la construction de soi et génératrices du mythe qui l’entretient. Influençant nos regards, nos besoins, nos désirs. Construisant notre définition de la beauté, du succès, de la réussite. Suscitant de l’envie, de la frustration, de la jalousie. Dans une forme de circulation interne, ces images sont à la fois supports et vecteurs de désir. Elles existent grâce au désir qui y est projeté et participent en retour à l’alimenter. Images - mirages ?
Le travail de Mazaccio & Drowilal ne traduit ni rapport complaisant ni positionnement critique sur les images qui habitent et forgent notre culture visuelle. Les artistes investissent ce qu’elles sont, ce qu’elles produisent, ce qu’elles construisent. Avec une esthétique ludique, colorée et décalée, leur oeuvre génère de nouvelles images qui génèreront d’autres représentations.
Laisse à désirer. Même la signification du titre de cette exposition est double. Dans son sens commun, cette phrase est l’expression de l’échec ou de l’incompétence, d’un travail mal fait, d’un manque de rigueur. Prise plus littéralement, elle exprime justement ce qui est laissé au désir. Comme ce corpus visuel que l’exposition compile, agence et laisse à nos regards.