Elegy for the mundane.
Michaël Blin
La photographie de Gaël Bonnefon induit la question du corps et de son engagement. Loin d’une photographie conceptuelle ou sérielle qui serait gouvernée par un but et développée dans un discours précis, l’enjeu de son travail se fonde dans un abandon à l’autre et aux situations traversées. Sans calcul et sans préméditation, l’implication du corps, du geste et de l’œil permet la rencontre, engage vers des chemins hasardeux et parfois accidentés, aux détours desquels peut surgir une image.
Cernée par les paysages de l’enfance, traversée par des horizons lointains et peuplée de corps et de visages, sa photographie développe une cartographie d’un monde à la fois fantasmé et réel où la trivialité de l’existence côtoie la grâce dans un équilibre précaire et vital. Paysages, situations, visages, mouvements sont saisis avec vivacité et scintillent au centre des nuits. Ils tissent l’étoffe du quotidien qui est travaillé comme une matière précieuse, d’une valeur inestimable. Cette étoffe est tour à tour le linceul qui recouvre le temps, l’autre, le monde, nos sentiments et nos souvenirs, mais elle est aussi un voile que l’on dérobe et qui offre au regard des fragments de vérité, qui capture l’ombre des peurs, permet des promesses de bonheur.
De prime abord brutale et déclinante, la matière de la photographie de Gaël Bonnefon est à l’image d’un regard qui redoute de s’éteindre un jour et qui cherche toujours à renaître. Il en va de la photographie comme de l’amour, recul et désir, tension et relâchement, répétition, errance et repos, fuite et poursuite. La photographie se laisse ici traverser par des éclats de vie, des regains de vivacité, des échos de douceurs lointaines et de joies perdues. Elle chante en silence, c’est une amante aux milles visages, de laquelle naît le fil d’une seule et même image poursuivie sans relâche, depuis les hauteurs enneigées de l’enfance, jusqu’aux mondes perdus du présent.