Mural pour le film, séquence n° 6

2005

Dessin au crayon noir, fusain, crayon de couleur et deux projections vidéo sur papier
8 x 2,4 m
Collection Les Abattoirs Musée FRAC Occitanie Toulouse

Le symbole de paix, taillé dans du bois, se consume. Les mots IGNORANCE / PEUR / SOUMISSION / PROPAGANDE sont lisibles à travers la fumée. Plus loin, un pain à visage humain fume le doigt de Dieu. Un corps accroupi tousse et s’étouffe à travers une fumée épaisse. Le pain anthropomorphe, boursoufflé, sûr de lui, ferme les yeux sur ce qu’il est en train de provoquer. Blasphémateur et anthropophage, il fume le doigt de l’homme ou du dieu qui l’a façonné. Plus bas, une jambe nue baigne dans le sang contenu dans une botte de femme géante. Les jambes bougent et s’élancent pour sauter hors de la botte. A ce moment, on voit apparaître le corps nu d’une femme sans tête. Dans son dos est marqué INNOCENCE. Elle marche de dos vers un visage monstrueux dessiné qui ressemble à un diable. Plus elle se tourne, nous fait face et son corps se greffe sous la tête du diable. Plus loin encore, des têtes se dévorent entre elles au dessus d’une représentation sexuelle et masochiste du Christ. Un corps dodue et sans tête se dote d’un visage humain défiguré, grotesque qui semble se lamenter. Puis un visage féminin à la beauté étrange le remplace. Face à ce visage multiple, un bras est en suspend. Ce bras relié  à un arbre se tend en direction de la figurine comme pour lui donner un coup de poing. A un autre moment, la main semble caresser le visage. Les bras et les jambes désarticulés sont les branches et les racines de ce vieil arbre malade dont le nez est prolongé d’un moignon ridicule. L’arbre dit avoir été déraciné, brisé et même pas mangé. A l’extrémité du mural, un animal ; mi âne, mi chien, tenant un micro dit « Comment changer le monde ? »
Ma conscience vaine et cynique interroge les discordes de l’actualité mondiale, qu’il s’agisse du mensonge qui engendre la confusion propice à la propagande comme de l’avidité, de la perversion, du poids culturel des conventions admises qu’elles soient religieuses ou sociales. De même, la torture et le déplacement des populations quand ils malmènent notre humanité.

V. L.

Chère Virginie,

Parce qu’il faut toujours battre le fer quand il est chaud, je reviens sur cette référence à la revue Acéphale, créé en 1936 par Bataille, Caillois et Leiris, laquelle s’engage, sous l’égide de Nietzsche et du dionysiaque, dans la recherche d’une expérience mystique athée, “d’une religion sans autre dieu que la souveraineté pour ainsi dire apocalyptique de l’extase.” Sur la base du sacrifice comme conjonction d’Eros et de Thanatos, la revue prend pour icône la figure de l’être sans tête, dessinée par Masson. Cette figure fait valoir un homme libre affranchi de Dieu (affranchi de l’anthropomorphisme divin dont la tête était l’image), libéré du pêché originel; un être encore qui ignore la prohibition et incarne un peuple sans chef. L’arrachement de la tête évoque, de fait, la seule échappée et arme possibles contre le fascisme : politique monocéphale absolue.
En outre, les pulsions d’Eros et de Thanatos trouvent, notamment, leur illustration quand le phallus se fait poignard pour fendre la femme.
Tu comprends ainsi pourquoi, j’ai pensé à Bataille et à la revue Acéphale!
L’ouvrage, au demeurant passionnant, dont je t’ai parlé, signé par G. Didi-Huberman, concerne plus spécialement la revue Documents : “La ressemblance informe ou le gai savoir visuel selon Georges Bataille”, Macula, 1995. 

À très bientôt.

Je t’embrasse,

Danielle Delouche

L’imagerie que crée Virginie Loze par le dessin est peuplée de figures hybrides, de personnages étranges pris dans des situations limites. Ces succédanées d’individus aux expressions de tristesse, de passivité ou de colère, existent bel et bien dans une zone intangible, entre réalité et fiction. Comme des individus soumis au vertige de forces contradictoires issues d’une friction entre le réel et l’imaginaire. Jouant des codes de la caricature et de la bande dessinée un peu à la façon de Crumb ou d’Alain Séchas, le dessin de Virginie Loze est incisif et décapant. Anticipant depuis prés de dix ans la mode actuelle du dessin mental, l’œuvre exigeante et sans concession de Virginie Loze  est restée somme toute confidentielle, comme tapie dans l’ombre, en attente. Récemment, ce travail a connu un développement au potentiel étonnant avec l’association de la vidéo au dessin. C’est à l’Espace Croix Baragnon que Virginie Loze montrera une nouvelle série de travaux, entre pénombre et lumière.

Pascal Pique, commissaire d’exposition

Mural pour le film, séquence n° 6, dessin au crayon noir, fusain, crayon de couleur et deux projections vidéo sur papier, 8 x 2,4 m