Jardin secret.

Horya Makhlouf

Socheata Aing multiplie les médiums pour raconter des histoires. Avec la performance, la peinture, la broderie, le film, l’installation et l’écriture, elle prend plaisir à collecter, explorer et relier les histoires qui gravitent depuis toujours autour d’elle, pour composer la sienne, faite de toutes à la fois.

Dans ses formes, ses mots et ses gestes se reformulent alors des trajectoires et des héritages multiples, qui éclosent en fleurs nouvelles qu’elle s’amuse à replanter ici et là, partout où elle va. Du Cambodge lointain de ses parents au balcon de l’appartement familial en région parisienne, les souvenirs intimes se mélangent aux anecdotes à repartager, la recette secrète d’un bon plat à la formule magique d’une performance réussie, les racines ancestrales aux fraîches boutures prêtes à éclore.

L’artiste fait feu de tout bois pour faire ressurgir les histoires oubliées – celles laissées en héritage et la sienne –, pour honorer les morts que les mémoires des vivants font perdurer, et pour panser les blessures invisibles qu’elle apprend à suturer.


Au début de l’histoire qu’elle déroule aux Abattoirs de Toulouse, il y avait une ligne. Elle était d’abord un point, qui s’est associé à un autre, puis un autre, et puis encore d’autres, pour composer un trait, puis un autre, et puis encore d’autres. Ce sont ces points, ces traits et ces lignes que Socheata Aing s’amuse à tisser et élever, enrouler et entortiller, filer et dérouler, compter et multiplier, pour composer avec eux des histoires aux lignes infinies.

Avec les fils, aux couleurs rose et noires, qu’elle a disposés sur le chemin, l’artiste guide le public à travers son « Jardin Secret ». Ici, un fil pend, sur lequel il faut tirer pour relier des confessions sur papier ; là, un autre dessine le souvenir du jasmin qui parcourt le corps. Partout, dans l’espace, les lignes sont des fils qui deviennent des bancs ou des pelotes, des cheveux et puis des nœuds, des arêtes et puis des maquettes, des chemins et puis des routes, à emprunter ensemble, avec elle, pour faire pousser des racines et fleurir les mémoires qu’elles contiennent. Celles qui se cachent derrière les reconstructions en carton de temples typiques de l’architecture cambodgienne hybridées par les souvenirs ; celles qui se transmettent dans les images familiales laissées en héritage pour en faire un film ; celles qui se nichent dans la brisure d’une assiette tombée par terre ; celles qui se lisent dans les pages d’un carnet de note, rendu public pour dire qu’on n’est pas seul.es.


À la fin de l’histoire que Socheata Aing met en partage, il n’y a pas de point. Que des lignes, et d’autres encore, qu’elle propose à qui veut de tisser avec les siennes.

Texte de Horya Makhlouf à propos du projet d’exposition Jardin Secret, 2025, commandé par les Abattoirs, Musée – Frac Occitanie Toulouse, Toulouse, dans le cadre de l’exposition collective Mezzanine Sud – Prix des Amis des Abattoirs

Auteur·e

Horya Makhlouf est historienne de l’art, critique d’art et co-fondatrice du collectif Jeunes Critiques d’Art. Elle est également coordinatrice artistique et commissaire des projets spéciaux au Palais de Tokyo depuis 2024. Elle écrit pour des artistes, des revues et des institutions artistiques, a participé aux podcasts L’esprit critique (Mediapart), PQSD (Jeunes Critiques d’Art) et Verni•es (Projets Media). Récemment, elle a été commissaire de « Une Affaire de famille » (CAC Passerelle, Brest, 24.10.2024 – 25.01.2025), du parcours de la Nuit Blanche à Césure (Paris, 2023), et co-commissaire de « LA ELLE », œuvre in situ de Renée Levi (avec Hugo Vitrani, Palais de Tokyo, Paris, 2024).