Pilote de ligne
2025
Performance
Charlottes bleues, épingles et carton
20 minutes
-
Performée
2025 : dans le cadre de l'exposition collective Manuten∫ions, L'Arc - scène nationale, Le Creusot, soutenu par le programme CURA, invitée par Élise Girardot
2025 : à l'occasion de la soirée Anecdota - histoires secrètes, dans le cadre de l'exposition collective Mezzanine Sud – Prix des Amis des Abattoirs, Les Abattoirs, Musée – Frac Occitanie Toulouse, Toulouse
Quels récits familiaux nous relient au travail ? À travers une narration autour de la trajectoire de son père, réfugié politique, Socheata Aing déroule un témoignage. L’artiste nous confie une histoire qui ressemble à tant d’autres, et partage près de la mairie du Creusot, les péripéties de nos imaginaires d’enfants en jouant avec les expressions : pilote d’une ligne aérienne ou d’une ligne de production ? Elle dépose ses mots auprès d’une fontaine, tout près du théâtre.
Vous rappelez-vous, quand les fantasmes se construisent autour des métiers réels ou rêvés de vos parents ? À son arrivée du Cambodge, le père de Socheata Aing travaille à l’usine de conditionnement de jambon à Ablis, de 1977 à 2014. Il dédie 35 ans de son existence à la même entreprise, rejoint par sa femme quelques années après, dans le froid frigorifique de l’usine.
Socheata Aing réalise des performances teintées d’anecdotes, ponctuées par la présence d’objets simples dont elle révèle leur magie, souvent partagés avec les spectateurs. Par ce biais, elle parvient à tisser une familiarité : ses récits résonnent avec les nôtres.
Texte d’Élise Girardot, commissaire de l’exposition collective Manuten∫ions, L’Arc - scène nationale, Le Creusot
À cette performance est associé un texte, comme ceux des petites mémoires, c’est le texte que je raconte durant la performance :
Pilote de ligne
Quand j’étais enfant, à la cantine, je mangeais avec les coudes appuyés sur la table.
Mes camarades me disaient : ” Ton père est pilote de ligne ? “
En rigolant et en agitant les coudes comme des ailes.
car mes bras prenaient de la place sur la table, comme les ailes d’un avion.
J’étais bouché bée, en effet, mon père était pilote de ligne,
mais pas d’une ligne aérienne.
Il était pilote de sa ligne de production à l’usine :
plus exactement : “Pilote de ligne - conditionnement de jambon - ouvrier qualifié”
ça m’avait d’autant plus sidéré, que j’avais toujours essayé de le cacher.
Quand mes amies me demandaient le métier de mon père,
je disais qu’il travaillait dans “les bureaux”.
À l’époque, je pensais que c’était ça un bon métier.
Mon père a travaillé à l’usine dès son arrivée en France
alors qu’il ne parlait pas encore Français,
de 1977 à 2014, il a travaillé sans interruption et pendant plus de 35 ans.
À la mairie, il avait reçu une médaille d’OR pour ses 35 ans de travail accompli.
Le maire avait lu son activité “pilote de ligne” et s’était exclamé fièrement :
Ah ! Mais nous avons un pilote avec nous, vous êtes dans quelle compagnie ?
Mon père avait simplement répondu : à l’usine GEO et le maire avait compris le malentendu.
À la maison, son diplôme est accroché au mur du salon,
dans un jolie cadre bleu ciel,
il trône aux côtés de nos diplômes d’études,
je le regarde aujourd’hui avec beaucoup de fierté,
il y avait de quoi l’être.
Au travail on surnommait mon père “MacGyver”
car il pouvait tout réparer avec du scotch et un élastique en caoutchouc.
Il était indispensable à son équipe.
À la fin de sa carrière, il était le seul à savoir utiliser sa machine,
sa ligne de production.
De l’usine à l’appartement, il a toujours ramené plein de trucs,
des boîtes en plastique qui ne servaient plus, des lingettes, des gants et aussi des charlottes.
Je me souviens avoir joué avec ces charlottes bleues, enfant,
et m’avoir inventé un tas d’histoires avec,
légère et aérienne, elles se déplient comme la voile d’un parapente.
On dirait de la soie.
Jusqu’au jour où je les ai moi-même portés,
quand j’ai travaillé à l’usine avec mon père et ma mère.
L’usine était un gigantesque frigo,
il faisait froid, super froid,
pour garder les produits alimentaires au frais.
Quand j’y travaillais, elle avait été rachetée par une entreprise qui faisait des salades en barquette,
du type Sodebo.
Ma mission était de mettre 3 tomates cerises par barquettes qui passaient continuellement devant mes yeux,
c’est-à-dire 10 000 barquettes à la fin de la journée.
Un autre jour, où la machine était HS,
je devais mettre les couvercles sur les barquettes qui défilaient entre mes mains,
10 000 couvercles sur 10 000 barquettes ce jour-là.
Je ne travaillais que les mois d’été, alors j’étais une petite main,
je ne faisais pas fonctionner les machines comme mon père.
Quand je travaillais sur la même machine que ma mère,
elle me demandait d’écrire pour elle les chiffres de la journée.
Elle était moins à l’aise à l’écrit, et j’étais heureuse de la seconder.
À la maison, ma mère a toujours été distante et peu démonstrative,
mais au travail, je l’ai découverte solaire.
Tous ses collègues l’adore, et les jeunes aussi
car apparemment elle a toujours des bonbons dans les poches, qu’elle propose à tout va.
On me disait : “Ah mais tu es la fille à Sophany !”
Et puis je l’observais,
elle papotait avec ses collègues, faisait des blagues et saluait les jeunes.
C’était un peu une maman ici.
J’enviais les jeunes qui étaient proches d’elle à l’usine.
Ma mère partait souvent en congé maladie,
parce qu’avec les années, elle a eu mal aux épaules
Le froid engourdissait ses muscles et la répétition des gestes était douloureuse
À la maison, elle disait tout le temps,
Ah j’ai mal j’ai mal, en massant ses épaules
Et l’hiver venant, le froid amplifiait sa douleur.
Quand l’usine a été une nouvelle fois acheté,
Les conditions de travail ont changé,
c’était à la demande,
s’il n’y avait pas de travail, on ne venait pas à l’usine,
et si le matin on nous appelait à la dernière minute, il fallait venir travailler.
Mon père a refuser ces conditions, après plus de 35 ans de travail
et comme il était à 2 années de la retraite,
il a décidé d’arrêter.
Au final deux tiers des employés ont été licencié,
Pour ensuite, faire appel à des intérimaires moins qualifiés en renfort.
D’ailleurs certains employés licenciés, sont revenus travailler en tant qu’intérimaire,
dans une situation plus précaire.
Ce weekend, c’est la fête des pères,
Bonne fête à tous les papas ici.
Je me souviens avoir fabriqué chaque année à l’école,
un tas de bric et de broc pour la fête des pères.
Des cartes de vœux, des origamis,
et des cadres à photo décorés de coquillages et de perles en tout genre,
qui encombraient les placards de mes parents.
Aujourd’hui, à 32 ans, je continue encore,
et les objets sont devenus aussi gros que moi.
Cet avion en carton recouvert de fleurs bleues en charlotte,
ne rentrera sûrement pas dans les placards lui non plus.
Après tout, je suis la fille de McGyver, et ce n’est pas rien.
Extrait de Les petites mémoires

Pilote de ligne, 2025, performance, Place de la Mairie, Le Cresot, photo Pauline Rosen-Cros

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Pilote de ligne, 2025, performance, Place de la Mairie, Le Cresot, photo Elise Girardot

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