Jimmy Richer, Possédé·es.
Margaux Bonopera
Ce qui est en bas reflète ce qui est en haut.
Hermès Trismégiste, extrait de la Table d’Émeraude1
Pour sa nouvelle œuvre, Jimmy Richer s’empare de l’un des objets les plus importants de l’histoire des sciences occultes : le tarot. Son Tarot du rameau d’or (2020) est composé de 78 cartes imaginées à partir de dessins à la craie blanche sur tableau noir, réalisés en trois jours lors d’une intense séance de travail, numérisés puis légèrement retravaillés.
Le tarot trouve son origine au XVe siècle dans les grandes cours de la Renaissance italienne. C’était un jeu de cartes populaire, aux structures et iconographies modulables, réalisés sur commande de grands seigneurs. Les premières occurrences du tarot divinatoire n’apparaissent quant à elles qu’au XVIIIe siècle, dont l’un des diffuseurs les plus renommés est Antoine Court de Gebelin (1719 / 1725 - 1784).
Si Jimmy Richer a choisi de créer un tarot, c’est sans doute que ce jeu partage avec sa pratique un fort attrait pour les forces syncrétiques. L’origine du tarot puise dans la numérologie propre à la Kabbale juive, s’inspire du retournement symbolique du monde présent dans les carnavals médiévaux mais repose également sur les associations métaphoriques des mythes grecs. Ainsi, l’œuvre de Richer se nourrit de ces sources ancestrales mais également de certaines plus contemporaines comme de l’œuvre du graphiste belge Elzo Durt. Le titre de cette œuvre est un écho au chant VI de L’Énéide lorsque le héros troyen Enée se saisit d’un rameau d’or afin d’entrer aux Enfers. Mais c’est également une référence non dissimulée à l’étude comparative Le Rameau d’or du célèbre ethnologue des mythes et religion, James George Frazer (1854-1941).
À l’origine de cette œuvre, il y a une série de dessins regroupés sous l’ouvrage intitulé Traité de magie ordinaire réalisé par l’artiste en 2018 suite à sa résidence à Monflanquin en 2017. Ce livre, sorte de grimoire contemporain, offre des recettes simples pour « ne pas perdre le nord » ou pour « reconnaître quelqu’un que l’on ne connaît pas », pourrait être le fruit d’une union entre l’œuvre d’Alfred Jarry et celle de Jacques Carelman, oscillant entre rationalisme de l’absurde et sciences du renversement. Ces propositions sont accompagnées d’illustrations originales vouées à devenir des tatouages réalisés par l’artiste lui-même.
Le tarot divinatoire, comme le tatouage, deviennent dans la pratique de Richer de nouveaux rituels qui lui permettent d’interroger nos manières de croire. Sous formes d’actions prédéfinies, l’artiste cherche ainsi à sceller un pacte de confiance avec le visiteur et le guider à douter du monde et de ses représentations : croire ou ne pas croire aux images ? Demeurer iconoclaste convaincu ou iconophile éperdu ?
La remise en question de nos certitudes par l’artiste est soutenue par une imagination visuelle se déployant à travers divers médiums et qu’il perçoit comme un moyen infiniment politique d’interroger nos systèmes de croyances et l’organisation de nos sociétés qui en découlent.
La citation de l’Hermès Trismégiste2
extraite de la Table d’Émeraude réunit sous une même philosophie les éléments constitutifs de l’univers et prouve leurs interdépendances. Ainsi, ce texte mythique de l’antiquité opère une lecture symbolique du monde en lui associant des images singulières. Et c’est là précisément que réside la force de tout jeu de tarot quand il sait s’émanciper de sa longue histoire. Jimmy Richer l’aura compris et propose un tarot oscillant entre œuvre d’art, jeu et rituel, devenant un outil précieux de déconstruction et de relecture du monde contemporain et de ses icônes.