Jimmy Richer.

Stanislas Colodiet

Jimmy Richer est conteur autant qu’il est artiste mais ses histoires sont particulières : elles n’ont ni début ni fin. Les représentations drolatiques tout droit sorties de l’esprit de l’artiste se composent en archipel. La seule manière de les appréhender est de naviguer de détail en détail. Insaisissables dans leur ensemble, elles impliquent une déambulation du regard à l’instar de la peinture extrême orientale. Évacuant toute rationalisation de l’espace par la perspective, les images se dévoilent peu à peu, comme à travers un rouleau que l’on déroule ; peu importe s’il est impossible de regarder simultanément la partie gauche et la partie droite. « L’imagination est la reine des facultés » disait Baudelaire.

Jimmy Richer est le terrain fertile en lequel l’imagination a semé. Ses œuvres semblent n’être que des excroissances d’elles-mêmes proliférant sous le jour d’un climat tropical. Le spectateur aura beau chercher à distinguer la racine de la cime, il n’y arrivera pas. Son travail illustre le principe selon lequel la nature a horreur du vide : tout n’est que croissance et fécondation, toute forme semble en engendrer une autre. Ainsi le monde végétal y est omniprésent mais bien souvent aussi celui du sexe.

Intéressons-nous aux sources qui irriguent l’imagination de l’artiste. Son univers est un exemple de syncrétisme, il y mêle sa passion pour les individualités créatrices les plus excentriques à sa curiosité insatiable pour les histoires les plus saugrenues mises en scène dans une atmosphère carnavalesque dans sa dimension la plus subversive. On pense d’une part, aux danses macabres anonymes, aux grotesques qui illustrent les Songes drolatiques de Rabelais, au bestiaire de Jérôme Bosch, aux figures masquées de la Commedia dell’arte, aux caricatures hybrides de Grandville, aux squelettes à sombrero du graveur mexicain Posada, aux dessins surréalistes de Man Ray ou encore à l’humour glacé d’un Topor. D’autre part, son exubérance narrative est l’héritière de Miguel Cervantès et du roman picaresque, des machines de Jules Verne, des trucages de Méliès, de la paranoïa critique de Dalí ou encore des mises en scène d’Alejandro Jodorowsky. Michel Foucault disait de Don Quichotte qu’il est au confluent de la tradition nordique flamande de la fête des fous et de la tradition italienne du burlesque, on pourrait en dire autant de Jimmy Richer. Cet univers accueille des histoires empruntées aussi bien à la littérature, qu’à la science ou encore à la religion.