Elegy for the Mundane, les aspérités d'un même monde.
Julien Hory
Avec Elegy for the Mundane, Gaël Bonnefon a une double actualité : un livre édité à Lamaindonne et une exposition au Château d’eau, à Toulouse, jusqu’au 3 novembre. Dix ans d’images dans lesquelles le photographe s’exprime par une immédiateté sensible.
« Sincérité, vibrations, amour. » À la question facile d’un journaliste en quête d’introduction, les mots par lesquels l’éditeur de Elegy for the Mundane répond représentent à la perfection le travail de Gaël Bonnefon. Si tant est que nous puissions la résumer, David Fourré, responsable des éditions Lamaindonne, offre ici une définition assez fidèle de l’œuvre du photographe. C’est une évidence, nous sommes là devant une expression sensible tout à la fois impulsive et maîtrisée. Qu’il s’agisse de moments intimes, de fièvres nocturnes, ou de paix contemplative, Gaël Bonnefon traduit sans concession une réalité qui lui appartient.
Qui lui appartient ? Pas tout à fait. Dans ses images, il traduit également les errances d’une génération perdue entre l’espoir promis et les lendemains incertains. Cet écart, l’artiste, installé à Toulouse, l’a saisi. Par une technique qui, sous de faux airs de hasard, affirme son indépendance esthétique, il laisse transpirer les doutes qui habitent sa contemporanéité. Venu des Beaux-Arts, nourri par les écrits et l’art contemporain, ses références sont multiples, elles font passerelles quand lui construit sa signature. D’une présence humaine cyclique, il vient de plus en plus à des territoires d’où émerge une atmosphère singulière. La technique du traitement croisé que le photographe emploie n’y est pas pour rien et elle traduit la vision d’un monde qui se dégrade.
La nostalgie et le devant
« Nan Goldin m’a beaucoup inspiré, mais je ne pense pas travailler de la même façon. » La référence à la figure de proue (du moins la plus exposée) des Cinq de Boston est claire. On retrouve une forme de radicalité mais aussi un respect pour le sujet dans leurs travaux respectifs. Pour exemple, la couverture de la rétrospective éditoriale de Nan Goldin, Le terrain de jeu du Diable, peut faire penser à celle de Elegy for the Mundane. Ce qui les rassemble certainement, c’est une présence au monde qui tend à s’effacer. Pourtant l’ouvrage de Gaël Bonnefon ne présente pas ses clichés les plus crus. Son éditeur l’explique : « Je suis Gaël et les membres de son collectif Temps Zéro depuis près de cinq ans. Au début, j’ai hésité à le publier, son travail était trop radical, j’avais peur de m’adresser à une niche. Surtout, je ne me sentais pas avoir les épaules pour proposer un travail comme ça. Et puis tout ça a mûri, nous avons défait, refait, mais c’est allé très vite. Il y avait de la cohérence».
« Je tends désormais vers la lumière, l’obscurité de mes photos serait trop interprétée. Elles seraient des images fallacieuses. » Gaël Bonnefon est ici et maintenant comme dans la nostalgie et le devant, à l’instant photographique d’une intériorité propre. Borderline, c’est le terme. Une personnalité consciente de ses égarements tant elle sait aimer, embrasser le sujet mais aussi se retrouver avec elle-même. « J’aime beaucoup le personnage de Zarathoustra chez Nietzsche, l’idée de l’ermite qui réfléchit au monde. » À toutes fins utiles, dans l’ouvrage de Friedrich Nietzsche, Zarathoustra était sorti de son isolement pour délivrer un message au monde. Il n’y a pas de message dans Elegy for the Mundane, mais il y a bien un partage volontaire. Cet ensemble qui, dans sa version originelle, devait annoncer le déclin, est un parfait appel à l’imagination du réel.