Béatrice Utrilla et le territoire des images.

Jérôme Carrié

« Ce qui frappe tout d’abord lorsque l’on s’arrête dans un vieux motel comme le Par-A-Dice Motel à Las Vegas, c’est cet aspect fragile et transitoire qui traduit aussitôt la crainte de s’attacher à quelque chose ou à quelqu’un. »

Bruce Bégout, Lieu commun, éditions Allia, 2003, p. 43.


En 2012, Béatrice Utrilla réalise une résidence de création dans le quartier de la Reynerie à Toulouse. Un livre paru aux éditions KAISERIN constitue le premier aboutissement de ce travail. Dans le cadre de l’exposition PAR A DICE, dont le titre est inspiré d’un ouvrage de Bruce Bégout, Béatrice Utrilla réinvestit cette expérience à La Fabrique. Mais au lieu de s’en tenir à ce territoire, l’artiste convoque des réalisations produites lors de séjours récents aux Etats-Unis et en Allemagne, ainsi qu’un ensemble d’images puisées dans ses disques-durs.


Béatrice Utrilla met ainsi en résonance différents lieux et espaces traversés, mêlant instants et histoires, recréant des liens entre une multitude d’images de provenances diverses. L’artiste recompose une sorte de nouveau territoire dans lequel chacun peut se déplacer physiquement et construire sa propre fiction.


Présentée dans Le Cube et Le Tube, l’exposition PAR A DICE propose un vaste environnement plastique, à la fois sonore et visuel. Dans les deux grandes salles d’exposition de La Fabrique, l’artiste produit une scénographie qui épouse pleinement la dimension architecturale des lieux.


Dans Le Cube, Béatrice Utrilla compose un grand mur d’images, concentrant l’ensemble des photographies sur le mur le plus grand de la pièce mesurant plus de douze mètres de long. Les images de plus grand format sont directement appliquées au mur tandis que les petits et moyens formats sont posés sur le rebord d’un mur construit à cet effet. La construction de ce mur-cimaise permet à l’artiste de déjouer l’accrochage traditionnel de l’image photographique présentée sous cadre. Par ce dispositif, les images deviennent des objets avec leur texture et leur épaisseur, qui existent concrètement dans l’espace réel. Dans cette continuité d’images, chaque élément interagit l’un par rapport à l’autre, opérant des compositions, des fragmentations, des superpositions et des stratifications. Ce mur d’images ne se découvre qu’après avoir traversé une « forêt » de plantes exotiques, palmiers et autres fougères qui envahissent l’espace d’exposition. Cette installation de plantes et d’images est accompagnée d’une bande-son composée par Michel Cloup spécialement pour l’occasion.


Dans la Black-box, Béatrice Utrilla produit une installation sonore et visuelle également en collaboration avec Michel Cloup. Dans cet espace obscur, une vidéo de neige télévisuelle est projetée en boucle sur le mur. Par intermittence, l’on découvre l’image de l’artiste se reflétant sur l’écran de télévision. Un matelas confortable posé au sol offre au public la possibilité de s’allonger et d’écouter attentivement la bande-son composée par Michel Cloup avec une sorte de conversation entre Michel Cloup et Béatrice Utrilla, retranscription d’échanges électroniques entre les deux artistes.


Dans Le Tube, Béatrice Utrilla occupe le vaste mur de plus de trente mètres de long avec sept vidéos projetées simultanément dans un espace sombre. La musique composée par Michel Cloup pour cette installation prolonge le mouvement des images dans une interaction constante entre images et son. Les séquences vidéo composées de boucles s’enchaînant selon des durées variables, des interactions aléatoires renouvellent constamment le lien entre les images et les écrans. Le spectateur se trouve littéralement immergé par les images en mouvement et le son. Jouant sur une alternance de motifs et d’éléments graphiques – lumières, mouvements d’eau, effacements, moires, sous-titres, ciels – les images composent une véritable symphonie visuelle.


Image-objet, image-écran, image-mouvement, image-son, l’œuvre de Béatrice Utrilla questionne le statut de l’image et singulièrement de la photographie en explorant différentes modalités de sa production et de sa monstration ou de sa mise en scène. L’image n’est ici jamais comprise comme une seule réalité univoque. Elle est souvent l’objet d’appropriation et d’un travail de « re-photographie ». Les images se connectent et résonnent entre elles pour composer une autre réalité fictionnelle, poétique, scénographique. L’exposition PAR A DICE propose un véritable parcours architectural, dans lequel le visuel et le sonore forment un espace plastique et mental. Si les images et les installations de Béatrice Utrilla constituent bien des traces d’une expérience du réel, elles offrent surtout l’opportunité à chacun·e de recréer ses propres liens, de s’immerger et de se projeter dans l’œuvre. À la manière d’un miroir, le travail de Béatrice Utrilla ne figure-t-il pas moins le reflet du vécu que les échos de notre propre désir ?

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