Camille
2023
Installation
Gélatines (rouge / jaune / bleu), 24 hauts-parleurs, son (24 min), craie sur tableau noir
Dimensions variables
La proposition puise sa source de l’iconique sur-scène inaugurale du film de Jean-Luc Godard Le Mépris ¹. Cette scène entre Brigitte Bardot et Michel Piccoli voit Camille égrener de haut en bas diverses parties de son corps les soumettant à l’approbation de Paul.
Face à l’insistance des producteurs du film à insérer des scènes de nudité, elles furent rajoutées au montage et sont une évocation directe des Blasons anatomiques du corps féminin, corpus illustré de poèmes publiés sous l’influence de Clément Marot en 1535 puis mis en musique par Clément Janequin l’année suivante. Le blason est un type de poème dont l’originalité repose sur l’attachement successif du poète à un détail anatomique du corps, effet de liste et d’inventaire fréquemment utilisé par Godard.
Ce plan séquence d’une durée de 3 minutes commence sur les deux amants alités.
Durant les 2 premiers tiers de la scène l’image est baignée dans une lumière rouge. Puis, la camera descend progressivement vers les fesses et les jambes de Bardot et l’image se teinte de jaune, avant de finalement devenir bleue et de s’achever sur un plan serré du visage de Bardot.
Annonciatrice de la confusion des langues au cœur du film, la scène est également marquante par sa musique, un adagio romantique, mélancolique et tragique composé par Georges Delerue. Participant par moment à l’effacement du dialogue, rendant difficile à saisir ce qui se dit et se joue, elle vient comme les filtres de couleurs qui interviennent pour masquer en partie les corps, nous remettre dans une position où nous n’avons pas accès à l’intimité des personnages dont il est question. Ces deux éléments sont ici contributifs d’un effet de dé-réalisation comme ressort même de l’art.
L’installation consiste a totalement recouvrir les vitres de la partie Ouest de gélatine de couleur rouge, celles de la partie Est de gélatine bleue et la petite partie des vitres au Nord de gélatine jaune. Couleurs primaires venant ici « rappeler ce qui semble s’être perdu aux yeux de Godard : peinture et cinéma, malgré la singularité de leur dispositif respectif, malgré l’écart ontologique qui sépare leurs images, n’en sont pas moins soumis à un même principe esthétique ² », celui qui place l’art sous la détermination de la lumière.
À cette intervention vient s’ajouter une installation sonore. Le thème de Camille est une partition composée pour orchestre symphonique d’instruments à cordes soutenus par quelques bois, un cor et une harpe.
L’idée est de déconstruire le morceau à l’aide de différents logiciels de démixage. Ces logiciels sont généralement conçus pour la pop musique et décomposent les pistes suivant les fréquences de voix, basse, guitare, percussion. Or, l’orchestre symphonique est conçu comme une entité indissociable, il fait corps. L’algorithme s’en trouve perturbé mais identifie malgré tout certains phénomènes isolables.
Il s’agît alors de recomposer le morceau à partir de ce nouvel orchestre, chacune des 24 pistes ainsi créées étant assignées à un haut-parleur.
La salle de dissection de l’ancienne faculté de médecine se voit appréhendée comme le théatre de la décomposition d’une œuvre musicale et cinématographique mythique ici considérée comme corps organique.
1- Jean-Luc Godard, Le Mépris, 1963.
2- Luc Vancheri, Cinéma et peinture : passages, partages, présences, Paris, Armand Colin, 2007, p. 113.
© Adagp, Paris