Autant que faire se peut. Entretien.
Lisa Crespy
Lisa Crespy: Vous produisez des formes qui font écho à l’échelle du paysage ou de l’architecture, comment s’est manifestée cette volonté ? Quelle place occupe le paysage dans vos propositions artistiques ?
Lucie Laflorentie : Il est vrai que j’utilise des matériaux souvent extraits ou liés à l’architecture pour créer des formes sculpturales évoquant l’idée de paysage. Ce qui m’intéresse, c’est comment les deux notions interfèrent ensemble et retranscrivent l’action des hommes sur un territoire, qu’il soit rural ou urbain.
Je suis très inspirée par le concept de « logique de l’extension » initié par Anne Cauquelin, il y a là non pas une extension « (…) au sens d’une étendue étalée devant nos yeux, mais au sens d’une mémoire en profondeur. D’une accumulation de strates et de ‘dits’.»
Ayant grandi dans un milieu rural, le paysage dans ce qu’il est de connecté à la Nature, a largement participé à la construction de mon regard et est resté central dans mes approches, tant sculpturales - picturales que narratives. Le paysage est une forme informe.
L.C : Il y a une notion de représentation de l’espace dans votre travail, pourriez-vous m’en dire plus ?
L.L : Tout est question de déplacement, il me semble, de glissades plus ou moins contrôlées d’un contexte à un autre. Le fait de considérer le « réceptacle » comme un espace prêt à l’accueil, engendre automatiquement chez moi une « représentation en mouvement », donc, un intérêt fort pour les espaces, qu’ils soient mentaux ou physiques.
L.C : Vous parlez de mécanique d’atelier, pourriez vous revenir sur cette notion ?
L.L : Lorsque je parle de mécanique, je parle en réalité de mouvement, de gestes, d’énergies et de pensées qui, dans un juste équilibre, produisent le terreau nécessaire à la production de mes formes. C’est comme une recette de cuisine que l’on met des années à écrire et qui se réajuste régulièrement avec l’arrivée de nouveaux ingrédients.
L.C : Quels sont les éléments qui inspirent votre travail ?
L.L : Habituellement, je vais à la rencontre de gestes et savoir-faires qui sont liés aux questions d’usage et d’usure, de la matière, d’un territoire, des hommes et qui témoignent d’un lien actif et contemporain entre différentes époques et cultures.
L.C : Comment s’est faite la sélection des œuvres pour l’exposition Autant que faire se peut ?
L.L : La moitié des œuvres a été faite pour l’exposition, le sujet de l’exposition m’a guidé dans leur réalisation. Les autres viennent étayer et ouvrir le champ de la représentation de ma proposition, par l’ajout d’éléments brutalistes et naturels comme cette pierre du Lot, portant en elle les marques de son extraction et de l’outil de l’homme.
L.C : Vous utilisez des pigments colorés, quelle place occupe la couleur dans votre travail ?
L.L : La couleur est très importante en ce moment dans ma recherche de forme. Il est toujours question de picturalité dans mon travail de sculpture. J’aime venir flouter les frontières entre sculpture et peinture dans les questions de représentation. Ce floutage devient une obsession.
L.C : Pouvez vous revenir sur les conditions de réalisation / de création ?
L.L : Pour la majorité des œuvres présentées dans cette exposition, j’ai utilisé des empreintes de matériaux contemporains, industriels, liés au « bâtiment ». Je viens avec celles-ci et par la technique des carreaux de ciment, réaliser des moyens formats, représentant l’idée du « paysage ». La couleur dans la représentation est proche parfois de l’abstraction et d’une vision rêvée et naïve du paysage.
Ce sont des sortes de bas-reliefs, se jouant de l’ambiguïté avec le « tableau » et par leur matière et les jeux de lumière viennent proposer un étirement des plans dans l’espace.
L.C : Je crois savoir que vous êtes sensible à la musique, peut-on dire que cela occupe une place centrale dans votre travail ?
L.L : Oui complètement. J’écoute beaucoup de musique en travaillant à l’atelier. Cela va même jusqu’à m’inspirer le titre de mes œuvres.
L.C : Vous parlez de dialectique de l’accident, pourriez-vous m’en dire plus ?
L.L : Oui, en effet, vous faites référence ici à une série particulière, Anticiper le débordement, un travail de peinture sur papier de bois. À partir d’extraction de formes du paysage architectural, je mentalise et anticipe le débordement de la matière, la fuite des fluides et la diffusion de la couleur. À ce moment-là, j’ai compris que le débordement devait, au-delà d’être accepté, être considéré comme une mécanique, qui allait infiniment me permettre le rebond.