Let's build a fire

2014

Série de 38 gravures
Pointe sèche sur plexiglass tirée sur Bfk Rives 250 gr, 35 x 39 cm

« Is this desire ? », c’est la question posée par Polly Jean Harvey dans la chanson où apparaissent les mots « Let’s build a fire », injonction intitulant cette série de gravures.

La matière dont est fait le travail de Sylvain Fraysse, c’est un feu en cours, le désir et sa propre ruine, ses épaves, l’effacement en train de naître. L’alternance et la cohabitation de sons clairs et de sons distordus. Les traces, les marques sous la peau.



Antoine Beauchamp, Construire un feu, 2014, extrait.

Lire le texte en entier


Oui, je fais la différence entre la surenchère - pré- cipitation des changements - et l’immobilité - évi- dence de notre réalité changeante. Il faut beaucoup de force, peut être de folie, pour rester immobile, pour regarder, écouter attentivement, façon de sa- voir où on se tient pour regarder et entendre les choses qui arrivent entre des formes, des mots, re- connus au premier temps. Il y a toujours un second temps. Toujours.

- Tu rêves papillon !

- Toute la réalité en rêve…

- Rien que ça !

Faire émerger la troisième voie. Ni surfeur ni taupe. Quelque chose d’une ivresse, d’une passion, qui n’est pas griserie de la glisse, pas mélancolie des souterrains, ni skateboard ni Kafka.

- Et après ?

Je me demande si à force d’annoncer « la porosi- té des frontières » comme la panacée de la créa- tion contemporaine, on ne rate pas quelque chose. On use du mot un peu comme si on avait atteint la conséquence dernière, ultime étape, de l’autonomie de l’art, après que l’art soit passé par les formules du non-art qui devaient justement lui arracher son autonomie moderniste.

Je me demande si la formule du partage du sen- sible qui est mise à toutes les sauces, démontrant une récurrence plus symptomatique que critique dans le mésusage, ne dévie pas le regard par une formule qui fait mouche, et bien arrangeante démo- cratiquement parlant.

Je me demande si, avec ces usages et ces dévia- tions, et la question de l’économie du marché de l’art, ce qui n’est pas sans importance, nous ne nous convainquons pas qu’il n’y a plus de frontières - ce qui évidemment relance le paradoxe que le monde ne cesse de se déchirer sur elles.

Dans un monde où le savoir est accessible, où les -ismes et les post- fleurissent à n’en plus finir, où les noms de philosophes nous plongent dans la servitude de leur pensée qu’ils ne réclament pas, où les métissages sont attendus et valorisés, où il est si facile de produire et de diffuser rapidement une image, je me demande pourquoi certains artistes de la jeune génération (inclus des étudiants en école d’art) et d’autres plus anciens, discrets dans le circuit de la grande distribution, en passent par des techniques manuelles et/ou des processus qui supposent des étapes longues, parfois lentes ?

Dessin, gravure, céramique, lithographie, technique de transfert…

- Mon dieu, mais c’est un retour à l’artisanat !

- Minute Papillon.

- Mais qu’est ce qu’ils font ?

- Oh mais c’est très simple, ils en ont fini avec la précipitation du « en avoir fini » avec Tout, pour passer à autre chose, pour se faire une mémoire en répétant leur geste, leur ombre parce que la vitesse blanchit la vision, rend épileptique. Ils en ont fini avec un faux éclectisme.
L’éclectisme ce n’est pas partir en tous sens en utilisant tous les médiums. L’éclectisme ce n’est pas la multiplication des pratiques avec le fantasme que le sens va se lever sur ce qu’on fait comme le soleil au petit matin d’une aube fraîche du printemps, et être repu d’un bonheur enfin acces- sible. Le bonheur est toujours le signe qu’on a raté le chemin qui y conduit. L’éclectisme c’est savoir comment en traversant le divers avec son mouve- ment propre, on affirme sa voix.
Ils font lento. Lentement sans excès, entre largo et adagio. Ils en ont fini avec les « raccourcis » - Pomme shift - qui font perdre le chemin. Ils de- mandent qu’on n’en finisse pas avec la lenteur, avec la prudence, avec les devants, avec les derrières des ombres. Toujours une autre ombre à l’ombre. Nous en manquons comme nous manquons de rythme pour faire entendre le silence dans la rumeur des circuits fermés. Ils demandent des oreilles et des yeux subtils pour qu’on réapprenne à lire et que patiemment advienne le temps d’une apparition. Que de leur ombre remonte une image. Ils attendent une aurore.



Sylvain Fraysse, texte publié dans la revue Offshore n° 35, juin 2014

© Adagp, Paris

Let’s Build a Fire, 2014, série de 38 gravures, pointe sèche sur plexiglass tirée sur Bfk Rives 250 gr, 35 x 39 cm

Let’s Build a Fire, 2014, vues de l’exposition à Galerie Vasistas, Montpellier