La Ville Côtière
2013 - en cours
Projet protéiforme
Le projet La Ville Côtière est aujourd’hui composé de quatre œuvres : une bande annonce vidéo Un endroit libre, un site internet lavillecotiere.fr ainsi que deux installations et performances Le Stand de l’office de tourisme et Vous méritez La Ville Côtière.
Le projet La Ville Côtière est né en 2013 d’une recherche formelle. Il s’agissait pour moi de considérer le site web comme un médium et d’y développer un récit. Usant de mes compétences de graphiste, j’y ai développé un vocabulaire visuel composé de photomontages, d’images générées sur des applications de cartographie comme Google Earth ou trouvées dans des banques d’images libres de droit.
Élaborant ainsi une esthétique très commerciale, j’ai commencé à explorer le thème de l’économie de marché et à entamer une grande recherche sur le libertarianisme, cette philosophie politique qui promeut une vision extrême du libéralisme. À la lecture de l’essai de David Friedman Vers une société sans État, j’ai développé plus précisément l’univers de La Ville Côtière imaginant, grâce à l’auteur, quel serait le visage d’une ville où tout serait privatisé. En allant au bout de la logique libérale et en plaçant les personnages de mon récit face aux absurdités de ce modèle, j’ai voulu questionner notre époque, ses usages et ses idéaux.
La Ville Côtière est ainsi une ville/état où tout a été privatisé à tel point que les gouvernements ont disparu. Personne ne gouverne la ville sinon deux grands groupes qui détiennent l’ensemble des sociétés, infrastructures et services de la ville. Ces groupes commerciaux ont modelé, au fil des ans, des modes de vie basés sur un idéal consumériste au sein de la société. Des modes de vie qui encouragent l’égoïsme et le repli sur soi.
En 2015, sort Un endroit libre, la vidéo d’introduction du projet La Ville Côtière. À la manière d’une publicité, cette courte vidéo donne alors le ton de l’univers étendu développé depuis ces trois dernières années.
Orientant, en parallèle, mes recherches sur les grandes métropoles occidentales pour constater les impacts de notre économie libérale sur les individus, j’ai été amené à me documenter sur le phénomène sōshoku danshi (草食男子, littéralement « hommes herbivores »), ces jeunes hommes japonais indifférents aux rapports charnels qui préoccupent le Gouvernement nippon. Si dans La Ville Côtière, le taux de natalité est une donnée qui inquiète ceux qui la régissent, c’est parce que la croissance est au cœur de sa philosophie, comme le souligne l’adage « Moins de naissance, moins de croissance », asséné comme un slogan publicitaire par toutes les marques de cet univers fictif. Plus largement, l’un des thèmes centraux que je développe dans ce travail est la violence des rôles assignés aux individus dans la société selon leurs sexes ainsi que l’omniprésence et la marchandisation de la sexualité en dépit de l’éveil des sentiments amoureux et in fine de la reproduction.
De ce fait, peu à peu les habitants de La Ville Côtière ont sombré dans la déprime et bien que certaines marques aient su capitaliser sur ce phénomène en vendant des remèdes à la tristesse, cette dépression de grande ampleur a entraîné une nette régression du sentiment amoureux, de la sexualité en couple et par ricochet de la natalité. Cette baisse des naissances est une grave menace pour l’équilibre économique de La Ville Côtière qui a enregistré le premier recul démographique de son histoire.
Pour enrayer ce phénomène, les deux groupes Major et ID&AL usent de leur pouvoir immense pour encourager les habitants de La Ville Côtière à faire des bébés. Pour cela, ils profitent de leur influence sur les médias, pratiquent des prix prohibitifs sur les contraceptifs ou les avortements, accordent des points de fidélité aux parents et développent des concepts permettant aux femmes de tomber enceintes sans partenaire. Par exemple par le biais des Fécondariums, établissements d’insémination gratuite effectuée à partir du sperme récolté en Masturbarium, filiale qui propose aux hommes de La Ville Côtière une masturbation robotique à prix réduit.
En 2019, lavillecotiere.fr est en ligne, on y entre en tapant l’adresse dans un navigateur internet (le site web est actuellement en maintenance). Alors, on peut naviguer sur la carte de cet univers et en découvrir les rouages à travers une narration confrontant trois personnages que l’on suit à travers des vidéos, en consultant leurs textos ou en suivant leur navigation sur le web. À plusieurs moments, les personnages sont en effet occupés à consulter des articles sur les sites d’information de La Ville Côtière, sites que l’utilisateur peut lui aussi visiter. Des publicités de marques fictives sont aussi disséminées dans toute la ville et renvoient aux sites des annonceurs pour dévoiler de nombreux aspects de l’environnement des protagonistes. Ce méli-mélo contribue à créer une lecture non linéaire qui dépendra des clics des lecteurs, de leur attention et de leur curiosité.
J’aime qualifier lavillecotiere.fr de roman multimédia. Ce projet cherche à utiliser le site web comme un médium à part entière et à réinventer la manière de raconter des histoires, de mener une narration en tirant parti des nouveaux outils numériques pour créer une expérience de lecture nouvelle et cohérente.
En 2020, faisant le constat que la diffusion de ce projet en ligne fut timide, je me laisse à imaginer des moyens de faire exister cet objet virtuel. C’est ainsi que j’élabore d’abord Le Stand de l’office de tourisme de La Ville Côtière, une œuvre IRL sous la forme d’une installation dans laquelle j’officierais en tant que commercial cherchant à rendre cette destination attractive aux yeux du public.
Mais mes talents de commerciaux ne suffisent alors pas à faire exister le stand dans un lieu d’exposition, ce qui me conduit en 2023 à repenser le projet. Me remémorant un triporteur aperçu dans les allées du salon mondial du tourisme de Paris, j’entrevois la perspective de convertir mon projet de stand en un objet itinérant. Je commence ainsi à travailler sur Vous méritez La Ville Côtière, un triporteur au dos duquel je vais à la rencontre des passant·es pour leur vanter cette utopie libertarienne.
La Ville Côtière, 2013 - en cours, projet, photomontages publiés sur le compte instagram @maximecallen, 2019, personnages principaux de lavillecotiere.fr
La Ville Côtière, 2013 - en cours, projet, photomontages publiés sur le compte instagram @maximecallen, 2019, schéma du cheminement du sperme du Masturbarium au Fécondarium
La Ville Côtière, 2013 - en cours, projet, photomontages publiés sur le compte instagram @maximecallen, 2019, citations issues du site de l’entreprise Id&Al sur lavillecotiere.fr
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