Résurrections.
Caroline Bouige
Laura Molton a appris la langue des oiseaux. À la recherche de nourritures célestes, elle arpente les territoires pour extraire, des couches de terres et d’eaux, les larves d’un temps et d’une réalité enfouie. Dormance, son premier film, nous emmène sur les rives du canal du Midi. Derrière l’apparente quiétude d’une première scène ; des arbres au crépuscule, un léger bruit d’eau et le gazouillis de quelques volatiles, une résistance s’installe. L’eau est un miroir et ne laisse entrevoir aucune profondeur ; elle reflète les platanes en bordure, aujourd’hui menacés par un étrange champignon venu d’Amérique. L’éclaircissement apparaît grâce aux recherches des dragueurs du canal. Les caisses d’armes des alliés, venus d’outre-atlantique,
et faites de bois contaminé, ont été dissimulées sous les ponts du cours d’eau. Elles ont ensuite infecté les racines des platanes environnants par voie d’eau. Le travail de vidéaste de Laura Molton implique l’enquête ; l’érosion d’une réalité apparente en découvre une autre.
Dans l’épaisseur de la terre, les sédiments du passé ressurgissent. Pour la jeune artiste, diplômée de l’isdaT, à Toulouse, plusieurs temps et plusieurs lieux sont susceptibles de coïncider, de coexister et de s’interroger. La quête de ces indices la mène, à l’été 2019, sur une plage du débarquement où se déroule un chantier archéologique et paléolithique. « Apprendre les gestes », lui permet d’imaginer une histoire et sa narration. En grattant la terre, dans l’espoir d’une découverte, elle réactive la pensée de Charles Baudelaire, qui voyait dans les chiffonniers de Paris, au XIXe siècle, une similitude avec la mission du poète. « Tu m’as donné de la boue, et j’en ai fait de l’or » déclarait t’il alors pour décrire son travail de retranscription du monde.
Être artiste c’est être alchimiste. Tout comme Rebecca Horn, Laura Molton métamorphose le visible en décelant des formes et des existences autochtones. Sa vision du monde se décompose en strates ; strates chronologiques ou strates géologiques. Au regard du cinéma asiatique qu’elle affectionne, sa recherche dans le passé et ses creusées archéologiques effacent les frontières entre les vivants et les morts. L’artiste abolit la notion de temps, comme s’il s’agissait d’une matière malléable, un jeu de cache-cache entre l’ombre
et la lumière « à la recherche d’une temporalité du monde non-linéaire, une temporalité biologique ». Car dans ses quêtes solitaires, aventureuses, parfois dangereuses, le ressenti corporel est essentiel. Citant Claude Levi Strauss, dans Tristes Tropiques1
, elle explique sa fascination pour le surgissement du passé. Le corps du chercheur, du fouilleur, inscrit dans l’écologie de son environnement, se retrouve, lors de sa découverte, impliqué dans le dévoilement d’une réalité qui dépasse les notions de temps et d’espace. À cet instant de dissolution, apparaît alors une autre dimension, que l’artiste laisse poindre dans ses films : les prémices d’un questionnement ontologique, et d’une interprétation mystique.