En réalité je n’ai trouvé que du sable, atelier Alain Le Bras, Nantes
2018
Vues de l'exposition personnelle En realité je n’ai trouvé que du sable
Atelier Alain Le Bras, Nantes
Sous un soleil de plomb, je vois mes pas se perdre dans l’immatériel désert. À la recherche de traces d’un lieu que moi-même ne connais pas et qui toujours se dérobe, je marche pourtant, guidé par ma seule intuition et par mon désir de comprendre. Dans l’immensité vierge tremble une vision : un édifice venu d’un temps lointain, fait de briques calcinées par excès de lumière… Autour de lui je tourne, inlassablement. J’en explore les innombrables recoins, et je tourne, sans jamais parvenir cependant à en trouver la porte — envolée. Tandis que le mirage se colore et retombe en pluie de sable, j’en trace méticuleusement la mémoire.
L’exposition propose une déambulation au travers de paysages et de bâtiments fragmentés, pouvant suggérer qu’il s’agit d’un lieu appréhendé selon différents angles et dont la vue d’ensemble, par son absence, est laissée à notre imagination. L’univers se déploie en un ensemble d’aquarelles (médium privilégié de l’observation), où la solidité des murs de briques vacille dans l’espace blanc de la feuille, se perd dans le hors-champ, s’étiole, émerge, et se liquéfie finalement. Le tracé suggère l’inachevé, un mouvement perpétuel oscillant entre construction et effondrement. Il présente une variété de strates, différents états de la matière. Tour à tour il affirme sa pesanteur, ses volumes, puis s’en vide.
Je me demande pourquoi nous construisons.
Est-ce une tentative d’offrir un contenant à ce qui nous dépasse, nous échappe ou nous effraie ? Une entreprise illusoire pour canaliser l’invisible ? Créer de l’ordre là où il y a de l’impalpable, et rivaliser avec l’éternel. Mais éternels, ces édifices ne le sont pas : malgré leur longévité, le temps y inscrit ses marques. L’homme lui-même les abîme — pour en exploiter la richesse, en réutiliser les matériaux, par violence, par croyance. Tels de simples décors de papier, ils finissent par s’écrouler. Ce théâtre de la construction devient tangible lorsque l’on découvre, en fin de parcours, La ronde des archers. À côté de cette petite table de jeu circulaire sont amassés des modèles réduits de briques, que nous sommes invités à manipuler. Une consigne est donnée : élever une arche. Mais de quelle arche s’agit-il ? Du haut de ce monde miniaturisé, nous revêtons le rôle du dieu, du souverain ou de l’enfant jouant à détenir tous les pouvoirs — celui de raser sa création, également.
Désorienté, je m’arrête. Le passé est dans la terre.
Une nécessité intérieure nous pousse à creuser, et en cherchant les signes d’un passé, ce sont les échos de sa propre origine que l’explorateur attend. Plus qu’une vérité historique, il importe de trouver un support physique, concret, où déposer fantasmes et visions (ce n’est d’ailleurs pas par hasard que l’archéologue parle d’invention plutôt que de découverte). Au sein du lieu de l’exposition, c’est la pièce En réalité je n’ai trouvé que du sable qui incarne ce support. S’imbriquant dans le dénivelé du sol elle prend l’apparence du soubassement d’un bâtiment autrefois disparu, aujourd’hui exhumé. Visible uniquement à travers les portes vitrées et pourtant centrale, elle sert de pivot à l’idée d’une circulation muséographique.
Il y a que l’origine et l’utilité du monde nous sont méconnues, et que nous en sommes les acteurs. Contre l’ignorance nous construisons l’Histoire et ses outils d’étude, et l’Histoire a vite fait de se vider de son objectivité pour dévoiler ce qu’elle a toujours été : fiction.
Leah Desmousseaux & Gaël Darras
© Adagp, Paris
Vue de l’exposition En realité je n’ai trouvé que du sable, Atelier Alain Le Bras, Nantes, 2018, photo Corentin Noyer
Vue de l’exposition En realité je n’ai trouvé que du sable, Atelier Alain Le Bras, Nantes, 2018, photo Corentin Noyer
Vues de l’exposition En realité je n’ai trouvé que du sable, Atelier Alain Le Bras, Nantes, 2018, photos Corentin Noyer
Vues de l’exposition En realité je n’ai trouvé que du sable, Atelier Alain Le Bras, Nantes, 2018, photos Corentin Noyer
Les murs de Babel I (1), 2016, aquarelle sur papier Fabriano 300 g, 75 × 100 cm
Les murs de Babel I (2), 2016, aquarelle sur papier Fabriano 300 g, 75 × 100 cm, collection particulière
Les murs de Babel I (3), 2016, aquarelle sur papier Fabriano 300 g, 65 × 100 cm
Les murs de Babel I (4), 2016, aquarelle sur papier Fabriano 300 g, 75 × 100 cm
Les murs de Babel I (5), 2016, aquarelle sur papier Fabriano 300 g, 75 × 100 cm
Les murs de Babel I (6), 2016, aquarelle sur papier Fabriano 300 g, 75 × 100 cm, collection particulière
Les murs de Babel I (7), 2016, aquarelle sur papier Fabriano 300 g, 75 × 100 cm
Vues de l’exposition En realité je n’ai trouvé que du sable, Atelier Alain Le Bras, Nantes, 2018, photos Corentin Noyer