Sur l'exposition "Autant que se faire se peut".
Bernard Teulon-Nouailles
Qu’attend-on de l’archéologie sinon qu’elle nous informe sur la vie quotidienne de nos prédécesseurs sur cette terre ? Cela se fait par des objets, leur fonction certes, mais également les matières qui les composent.
D’où cet intérêt d’inviter au Musée d’archéologie des Matelles, connu pour ses collections néolithiques, des artistes contemporains qui accordent une grande importance à l’objet d’une part (Agnès Fornells et ses bidons et serpillières, Anita Molinero et ses plots et poubelles, kit carrosserie pour Maxime Sanchez), et à la matière de l’autre (Pierres du cru de Clément Philippe, poudre d’acier de Nicolas Daubanes, matériaux de construction de Lucie Laflorentie).
Clément Philippe n’hésite pas à montrer le chemin qui mène au sous-sol ou à s’inviter dans les vitrines témoignant d’un passé ancestral. Les différents éléments utilisés par Maxime Sanchez peuvent faire penser à un squelette, ludique, de dinosaure, et donc établissent, eux aussi, un lien entre la vocation du musée et un art contemporain soucieux de se situer par rapport à son lointain passé et au regard que l’avenir portera sur lui. L’artiste pratique l’hybridité entre les instances temporelles et culturelles, mais aussi entre les arts plastiques et ceux que l’on dit en marge (autocollants, customisation, mangas etc.).
Sans doute les déformations qu’Anita Molinero fait subir à la matière plastique la plus rutilante sonneront à la fois comme un malaise dans la civilisation, pour parler comme Freud, mais aussi tel un témoignage de la volonté tenace de pérenniser l’éphémère, le quotidien le plus banal, invisible à force d’être trop vu.
C’est en ce sens que l’œuvre, claire et cohérente d’Agnès Fornells, un immense et subtil trompe-l’œil, nous interpelle. Formé d’objets les plus insignifiants, cagettes ou balais, il montre qu’une matière comme la céramique se prête à toutes les expériences et tend à sublimer les choses les plus humbles. Multifonctionnels de surcroît, ils se réfèrent à des pratiques de débrouillardise puisque ces objets servaient en réalité à délimiter les places des incontournables véhicules des gens du peuple mexicain. Et puis, ils sont à la fois fictionnels (ils se distinguent du réel rappelé par un poster géant) et réels dans cette seconde vie où ils s’émancipent de leur fonction usuelle, et font la fête (d’où cette guirlande qui les surplombe).
Au demeurant, ces œuvres sont engagées : c’est évident pour Nicolas Daubanes, dont le triptyque renvoie à un toit de prison, réalisé à partir de barreaux sciés qui se répandent sur le support et tendent à inspirer l’évasion. Le problème est sans doute social, on pense à l’œuvre de Michel Foucault à ce sujet, mais aussi métaphysique (Pascal comparaît le monde à un cachot), et sans doute aussi psychologique. Clément Philippe réhabilite les veilles pierres qu’il fixe sur le Mur ou le plafond, mais c’est aussi pour dénoncer les menaces qui pèsent sur elles, comme sur l’ensemble du vivant (électricité, produits chimiques).
Dans ce contexte, les paysages sciemment simplifiés de Lucie Laflorentie, réalisés avec des matériaux urbains, sonnent de manière quelque peu nostalgique. Ils évoquent un idéal de pureté auquel nous sommes contraints de renoncer mais dont nous retrouvons la trace dans l’aspiration artistique. C’est sans doute pourquoi ses réalisations misent sur la douceur des coloris marbrés.
Six bonnes raisons d’aller voir cette expo, et la 7°, le lieu lui-même.