Expositions

2020

Tirages poster, encadrés, marouflés sur bois
Dimensions variables
Vues de l'exposition Jardin intérieur, galerie-studio Université Jean-Jaurès, Toulouse, 2020

Butin d’images : jardin intérieur


La création photographique de Béatrice Utrilla nous invite à découvrir un imaginaire d’images prélevé au plus prés des franges du monde domestique, familier et cependant étrange voire ringard.
Son projet ne réside pas uniquement dans la production-création d’une image singulière dotée d’une valeur d’expression et d’une qualité plasticienne – cadrage, contrastes noir / blanc, accords lumière / couleur – qui transfigurerait, telle une œuvre d’art la représentation attendue du réel.

Le travail de Béatrice Utrilla triture les images prises dans la profondeur d’un matériau support qui, comme matériau photosensible, a perdu tout au long de son histoire technique l’épaisseur de sa matière : de la plaque de verre à l’émulsion sur film jusqu’à la poussière pixellisée de l’écran.

Dès lors, l’acte de photographier intègre la nouvelle donne technologique du numérique et provoque d’autres postures et conceptions du travail de l’image ainsi que d’autres modalités de prises de vue.

Elles autorisent l’usage de la notation, du relevé visuel à la manière du croquis rapide qui répond à l’immanence des rencontres qui s’offrent à la vue : inattendues et ordinaires. Rencontres fugaces et non choisies ou distinguées par une élaboration esthétique préalable : seulement notées, à vif, appelées à être retravaillées, séquencées et agencées à d’autres notes et croquis à venir mais encore inconnues.

Par les modes d’investigation et de fabrication qu’elle active, Béatrice Utrilla pulvérise l’apparaître des textures et des couleurs, procède à une quasi dégradation de la pixellisation initiale de l’image, démultiplie les dimensions et sensibilités de perceptions.

Elle fait surgir de nouvelles évidences dans l’apparaitre des vues, dont on ne soupçonne pas que ce qu’on nomme le réel puisse les recéler. Mais là ne résident pas en totalité les potentialités de l’accomplissement de sa production-création.

Les prises de vues sont traitées d’une certaine manière, comme des sortes de ready made. C’est, là, l’un des emprunts modestes, discrets mais intelligents que Béatrice Utrilla s’autorise à faire à l’enseignement de ce que Marcel Duchamp indexe, de manière critique, sur l’acte de création: à savoir l’expérimentation du principe d’indifférence aux exigences de la valeur du beau et du jugement du goût appliquées, habituellement, aux conditions de la production de l’œuvre d’art.

Depuis cette mise à distance éthique tout autant qu’esthétique, Béatrice Utrilla construit un autre ajustement graphique, chromatique à la conception de la mise en espace des images et à l’enrichissement de nos perceptions.
Elle convoque, dans ses installations et expositions tout à la fois, la culture picturale, photographique, cinématographique inscrite dans la longue histoire de l’humanité à laquelle, pour partie, elle emprunte mais aussi, à l’égard de laquelle, elle honore la dette.

Elle augmente la valeur de ce butin d’images glanées et transformées par de nouveaux agencements d’apparitions et de mises en séquence. Elle les dépose et présente, parfois, les unes masquant en partie les autres, nous invitant, ainsi, à aller mentalement les feuilleter pour dégager ce que les premières nous cachent en partie des secondes ou des troisièmes.
Comme une sorte de renvoi à ces nuées d’images peintes sur les reliefs de la paroi, s’enchevêtrant les unes dans le autres et prises dans le bougé des ombres portées par la lumière des torches. Aussi elle nous renvoie à toutes ces sortes d’images agencées par nos multiples écrans qui façonnent nos conduites de vie ; des plus triviales au plus sublimes.

La syntaxe de leurs arrangements en formats différents disposés contre le mur, posés au sol plutôt qu’accrochés, se joue des textures, des motifs, des figures qu’elles offrent aux regards.

Cependant, cette disposition ne donne pas lieu à de grandes compositions narratives mais à une sorte de re-présentation d’une nouvelle dramaturgie visuelle. La pérennité fragile et précaire de l’installation des images, à la fois étranges et familières, dresse une forme d’exposition transformée faite de séquences et montages d’intelligibilité à découvrir : un imaginaire d’images.

Souvent chipées à des réalités banales comme un champ de fleurs sauvages ou une plante d’appartement dans son pot, Béatrice Utrilla fait de ce butin d’images un jardin intérieur.
La part sensible et ironique de l’agencement s’adresse à nos regards contemporains que Béatrice Utrilla imagine dotés de pulsions tout autant ludiques que critiques.


Gérard Tiné, artiste, enseignant et directeur artistique