Une affaire de famille
2024
Vues de l'exposition collective Une affaire de famille
Passerelle Centre d'art contemporain, Brest
Commissaire Horya Makhlouf
Pchum Ben, Fêtes des Ancêtres, des morts et de la rédemption, est l’une des cérémonies bouddhistes les plus importantes au Cambodge et dans les diasporas. Dans les pagodes ou à la maison, les familles se rassemblent autour des plats qu’elles ont préparé avec soin, en pensant aux membres qui les ont quittées autant qu’à celles et ceux qui sont restés. Au sol ou sur la table, les assiettes s’accumulent et les mets se partagent alors que brûlent les encens allumés pour convoquer à table les vivants et les défunts. Quand La Double Absence restitue les images du festin, le banquet de papier composé par Socheata Aing propose un nouveau partage. Composé lors d’une résidence au Ditep - Dispositif Institut Educatif et Pédagogique l’Essor Jean-Plaquevent de Saint-Ignan, ce banquet est la somme des histoires accumulées dans les fibres des papiers peints arrachés des murs de l’ancienne bâtisse où sont désormais accueillis les enfants qu’elle a accompagnés le temps d’un automne. Les couches de papier et d’histoires secrètes alimentent aujourd’hui les petites assiettes offertes à la dégustation intérieure.
Extrait de la notice du cartel de l’installation Le festin de papier peint pour l’exposition collective Une affaire de famille
C’est une histoire qui pourrait être un film : il y a deux ans, Socheata Aing a retrouvé une dizaine de pochettes de CDs sur lesquelles étaient inscrits des lieux et des dates, en français ou en cambodgien, qui renfermaient de précieux souvenirs enregistrés par son père il y a bien des années.
Un grand ménage de l’appartement familial et le hasard d’un début de printemps ont poussé l’artiste à revisionner ce qui était entreposé là depuis des lustres et que personne n’osait déplacer, comme en attente d’une suite. Sur son écran d’ordinateur, elle redécouvre alors les visages aux traits familiers capturés par son père quand ses filles étaient petites, le sourire de sa mère en voyage, des paysages de France et du Cambodge que les parents ramenaient – pour les partager – d’un bout à l’autre de la famille dispersée entre les deux pays. La barre d’immeuble de banlieue parisienne dans laquelle une partie des Aing a grandi succède à la maison cambodgienne ouverte sur l’extérieur dans laquelle les autres sont restés.
Ici, les festins se partagent autour d’une longue table serrée entre les murs roses recouverts de cadres dorés ; là, ils s’étendent au dehors, par terre et plus gigantesques encore. D’une séquence à l’autre, les gestes d’une prière se répondent, en écho mais ré-adaptés à l’espace dans lequel elle se partage, à la langue dans laquelle elle se comprend, aux petits devenus grands, et aux vivants qui font sans les absents.
Les souvenirs partagés entre ici et là-bas se sont empilés, ont circulé et se sont entassés sur un coin du bureau de l’appartement familial et dans la tête de l’artiste. Alors, ouvrant les pochettes de CDs avant qu’elles ne finissent par prendre véritablement la poussière, Socheata Aing s’est attachée à poursuivre l’oeuvre de son père. À ses yeux, elle a associé les siens. À travers eux, tenté de voir ce qu’ils regardaient avant elle. Après eux, composé de nouvelles images, écrit la suite qu’il aurait sûrement voulu. Ici et là, les figures grandissent et finissent par disparaître. Partout, toutefois, un bouquet d’encens se consume pour faire perdurer leur mémoire et les inviter à rester là, toujours un peu, avec soi.
Au nom d’un père, d’une soeur et des ancêtres partis avant que le film ne soit monté, les deux écrans de La Double Absence sont une co-réalisation semi-posthume et une passation magique. Une collaboration entre les vivants et les morts, entre une fille et son père, entre un artiste sans le savoir et une artiste qui a tout fait pour le devenir, avec lui, grâce à lui, peut-être aussi pour lui.
Extrait de la notice du cartel du film La Double absence pour l’exposition collective Une affaire de famille
L’affaire qui éclot entre les murs de Passerelle Centre d’art contemporain pousse dans les recoins et les zones d’ombre de ce qu’on appelle les « grands récits », à l’orée des arbres majestueux qu’on a préféré cultiver plutôt que d’autres. Elle se tord et se dénoue au fur et à mesure des reconfigurations, des migrations et des métissages de ses pousses vigoureuses, le long des marges historiques et des périphéries géographiques. L’histoire que font germer les artistes de ce parcours est aussi documentaire que poétique, mais par-dessus tout performative. Elle est l’affirmation d’un arbre généalogique contrarié, de germinations invisibles ou empêchées, de communautés idéales, liées par le sang ou l’amitié, auxquelles se transmettent des gestes et des langues, des visages et des noms, des lieux rêvés et des recettes à réactiver.
Extrait du texte de présentation de l’exposition par Horya Makhlouf

Les festin de papier peint, 2023, installation, fragments et pliage de papier peint sur lino, 300 x 300 cm, vue de l’exposition collective Une affaire de famille, 2024, Passerelle Centre d’art contemporain, Brest, détail, photo Aurélien Mole

Les festin de papier peint, 2023, installation, fragments et pliage de papier peint sur lino, 300 x 300 cm, vue de l’exposition collective Une affaire de famille, 2024, Passerelle Centre d’art contemporain, Brest, détail, photo Aurélien Mole

Les festin de papier peint, 2023, installation, fragments et pliage de papier peint sur lino, 300 x 300 cm, vue de l’exposition collective Une affaire de famille, 2024, Passerelle Centre d’art contemporain, Brest, détail, photo Aurélien Mole

Les festin de papier peint, 2023, installation, fragments et pliage de papier peint sur lino, 300 x 300 cm, vue de l’exposition collective Une affaire de famille, 2024, Passerelle Centre d’art contemporain, Brest, détail, photo Aurélien Mole

Les festin de papier peint, 2023, installation, fragments et pliage de papier peint sur lino, 300 x 300 cm, vue de l’exposition collective Une affaire de famille, 2024, Passerelle Centre d’art contemporain, Brest, détail, photo Aurélien Mole

Les festin de papier peint, 2023, installation, fragments et pliage de papier peint sur lino, 300 x 300 cm, vue de l’exposition collective Une affaire de famille, 2024, Passerelle Centre d’art contemporain, Brest, photo Aurélien Mole
La Double absence, 2024, film, 23 min, vue de l’exposition collective Une affaire de famille, 2024, Passerelle Centre d’art contemporain, Brest, photo Aurélien Mole
La Double absence, 2024, film, 23 min, vue de l’exposition collective Une affaire de famille, 2024, Passerelle Centre d’art contemporain, Brest, photo Aurélien Mole
La Double absence, 2024, film, 23 min, vue de l’exposition collective Une affaire de famille, 2024, Passerelle Centre d’art contemporain, Brest, photo Aurélien Mole
La Double absence, 2024, film, 23 min, vue de l’exposition collective Une affaire de famille, 2024, Passerelle Centre d’art contemporain, Brest, photo Aurélien Mole
La Double absence, 2024, film, 23 min, vue de l’exposition collective Une affaire de famille, 2024, Passerelle Centre d’art contemporain, Brest, photo Aurélien Mole