Le secret de mon père pour réussir un bon plat, Socheata Aing.
Ernest Thinon
Socheata Aing, artiste plasticienne qui, après une pratique de la peinture à choisis la performance pour aborder avec d’autres nuances et faire de son corps un médium pour raconter ce qui la touche. Lors de sa performance le secret de mon père pour réussir un bon plat, elle identifie les ingrédients qui forment ses performances comme son père avait identifier sa façon de cuisiner. On retrouve ainsi une association entre saveur et émotions qu’elle transcrit ainsi ;
Le sucré = l’affect
Le salé = l’humour
l’acidité = l’absurde
l’amertume = le politique
Le pimenté = l’effort
« Il faut que les 5 goûts soient rassemblés pour faire un plat qui fonctionne » lui avait confié son père. Ses goûts à elle, ceux qu’elle partage et intègre dans ses performances sont ; l’humour, l’affect, l’absurde, le politique et l’effort. Dans chacune de ses performances, tous entrent en jeu, à des pincées variables. Comme on met du sel dans un moelleux au chocolat et du sucre dans des oignons caramélisés chaque plat et performances ont besoin d’être relevé par un ingrédient insoupçonné. Ainsi, le piment et l’acide viennent bien souvent sublimer un plat sans en changer la nature « sucrée » ou « salé » tout comme l’absurde et l’effort apportent une vérité d’émotions et de lectures des performances.
Lors de sa performance proposée, le 16/10/22 Socheata propose un moment rétrospectif et réflexif sur sa pratique ; l’événement qui l’accueil est une ouverture d’atelier où le publique découvre sa pratique en faisant l’expérience même, par le goût. La nourriture, on le sait permet d’engager la discussion et la réflexion tout en partageant une même expérience gustative. Préparer à manger, penser à celle ou celui qui le recevra le fruit de nos efforts, ce n’est pas un geste anodin, mais un geste généreux dans lesquels on se dévoile.
Le secret de mon père pour réussir un bon plat fut la proposition de maki, chacun d’eux venait recréer l’expérience d’une performance antérieure. Ainsi, pour celles ou ceux qui ont goûté par exemple le maki qui mettait en bouche Faire face, une vidéo dans laquelle le corps est en jeu jusqu’aux larmes, l’émotion lors de la dégustation provoqua des résultats similaires aux émotions vécues par l’artiste dans la vidéo. En effet, ce maki était composé de moutarde, de confiture de figues, de cacahuète et de beaucoup de poivre de Compo. Il était explicitement demandé au public de croquer dedans pour faire une pleine expérience. La participation et la prise de risque par le public est nécessaire, s’engager comme s’engage pleinement Socheata dans chacune de ses performances. Sans cette prise de risque, la pièce reste insaisissable, elle demande un effort, une volonté et un lâcher prise.
La cuisine ça se partage, se transmet et s’explore par tous nos sens.
Dans les recherches de l’artiste, on voit des allers-retours entre un corps unique et une expérience générale, de l’intime à l’universel. Ces recherches s’intéressent toujours à la transmission ; à ce qui nous est légué, à ce que l’on donne et ceux par quoi on peut toucher l’autre.
Comment toucher ?
Voilà une question qui traverse tant les arts visuels que gustatifs.
Lors de la pandémie du covid-19, nous avons perdu le toucher quotidien, physique et tangible, nos proches ne pouvant plus l’être. Pourtant, nous avons partagé une expérience forte et planétaire, nous étions percuté.e .s par un même événement, toucher dans nos intimités. Des mots de toutes les langues s’entrechoquaient là ou nos mains ne pouvaient plus se serrer. Ce moment, presque suspendu dans l’histoire, avait besoin d’être vécu à l’unisson par des chants, des dessins, des peintures, des musiques, des récits et des paroles, chacun.e cherchant à être touché et à rendre le contact autrement que par nos épidermes.
Pleurer ensemble, c’est aussi l’invitation que Socheata a faite lors de sa performance S’occuper de ses oignons en 2021 lors du festival traverse Vidéo à la prep’art de Toulouse. La proposition était celle de couper 10kg d’oignons, celles et ceux qui souhaitaient la rejoindre y étaient invité par la présence de matériel à disposition. Elle offrit le temps de cette performance un prétexte acceptable pour ouvrir les vannes, émotionnelles et lacrymales. Ce fut l’opportunité de pleurer, ensemble sincèrement et publiquement.