Du temps à l'ouvrage, exposition personnelle
2014
Immersion dans un système, cartographie d’un processus, l’exposition Du temps à l’ouvrage de Jean Denant déconstruit le système pour le mettre à nu. En isolant les différentes étapes qui prédisposent à la construction, l’exposition nous plonge au cœur d’un système.
L’artiste nous invite à morceler et à déconstruire pour isoler, les différentes actions qui concourent à l’édification.
Du temps à l’ouvrage débute hors-les-murs. En effet, la cour, d’ordinaire lieu de passage et de transition, est investie. Préambule ou immersion in media res, la pièce Réminiscence se déploie au niveau 0 du centre d’art. Un monolithe constitué de matières végétales et de terres emplit l’espace. Un monticule de gravats est érigé en sculpture : se mêlent, dans cet assemblage hasardeux, des morceaux, des débris, mottes de terre et plantes. Traces rapportées de l’excavation d’un site en construction, ces éléments épars sont autant de souvenirs matériels d’un processus. À ces résidus s’ajoutent des éléments issus de l’exposition : les reliquats des cloisons du plateau central ont été abattues et gisent ainsi dans ce monument du souvenir. La cour est alors redessinée, accueillant un jardin urbain aléatoire et improvisé, un geste mécanique ayant déposé ces échantillons.
L’immersion dans le décryptage du système de construction se poursuit, à l’étage.
L’espace est restructuré pour accueillir le parcours, imposant une nouvelle circulation. Des cloisons ont été abattues : le lieu porte ainsi le geste artistique et la marque de l’intervention qui réinvente l’in situ. Dans cet espace prend place une nouvelle architecture mentale : Second œuvre raconte le geste de la construction et du bâti. Dans ses tableaux, l’artiste rejoue l’architecture en conviant des matériaux simples et destinés au bâtiment. Par ce détournement de la matière, des matériaux à des fins artistiques, Jean Denant provoque un volontaire décalage entre noblesse du geste et précarité des matières. L’univers résolument urbain voisine avec la nature, représentée par la grande gravure d’une forêt qui trône dans le lieu, humanisant la rudesse des matériaux et rappelant le cycle de la vie et des éléments. Les baies vitrées favorisent la rencontre entre l’extérieur et l’intérieur : la végétalisation urbaine de la cour gagne ainsi l’espace d’exposition, à l’instar d’une plante grimpante. Jamais opposés, la nature et la culture, le fabriqué et le fantasmé se côtoient, se tutoient. Le regard circule, les matériaux dialoguent : la gravure, réalisée sur du bois utilisé pour réaliser les coffrages, atteste de cette rencontre entre l’origine de la matière et le produit transformé. Second œuvre poursuit la réflexion menée par Jean Denant sur la possible réconciliation de l’homme avec son architecture, sur sa projection et sa participation à l’élaboration du réel physique déterminé par la construction. Un nouvel espace mental se dessine : une parenthèse s’ouvre, figeant le temps et invitant à s’immiscer dans cette nouvelle temporalité, celle du changement et de la métamorphose. Second œuvre annonce le temps de l’aménagement intérieur et de l’agencement des idées.
Tel un « alchimiste », Jean Denant transforme la matière et les matériaux. Du temps à l’ouvrage met en scène les différentes étapes qui participent de la modélisation de nouveaux espaces, de nouveaux systèmes. L’exposition se déploie en trois temps, trois volets qui sont autant de lectures et de tentatives de capture et de distorsion du réel. Après avoir mis à nu les espaces et révélé les matières ,écorché les matériaux, l’artiste fait corps avec les murs, dans lesquels il redessine et découpe des formes pour y projeter une cartographie des processus, imaginaire et personnelle. À partir des fragments retiré aux cimaises, Jean Denant recompose un réel. L’artiste cite ici l’une de ses pièces réalisées en 2005, superposant alors les temporalités et les références pour reconstruire un nouveau lieu de réflexion. Il emprunte aux murs leur histoire et leur passé pour y découper des formes et leur donner une nouvelle vie. De cette étape, demeurent les trous vides, comme une invitation à l’introspection et à investir le vide laissé par la disparition de la matière. Plongé dans la dans l’absence des formes, le visiteur est irrémédiablement absorbé, qui rappellent les espaces resculptés par Turrell. Pourtant, bien qu’invisible, cette matière est présente : elle permet de construire un mobilier emprunté au design du Bauhaus, à l’esthétique de Mies Van der Rohe et Le Corbusier. Le cabinet de psychanalyse reproduit, à l’échelle 1, devient alors la métaphore des différentes couches du mental, des superpositions de réalités qui participent de la construction d’un réel affirmé. D’une facture simple, épurée et fragile, les éléments d’ameublement figurent le lieu d’écoute où les patients ont rendez-vous avec leur inconscient, avec la construction de leur Moi. Est ainsi mis en scène un système de pensée contemporaine qui contribue à la construction de l’humain. Cet ultime lieu, au sommet de l’espace d’exposition, invite alors à la contemplation, à la suspension du temps. Parenthèse réinventée, ce cabinet favorise l’introspection et le retour sur les différents temps de la construction, de l’appréhension du réel .
Regressus ad uterum… Retour sur les traces de la construction d’une pensée, d’un processus et mise à nu d’un système, Du temps à l’ouvrage s’interroge sur les différents processus d’agencement qui contribuent à l’élaboration d’une pensée. Métaphore poétique et philosophique, le travail de Jean Denant construit en même temps qu’il démolit une image, solidifie une vision d’un monde en même temps qu’elle le fragilise. Il est question de corps en transformation, d’histoire en cours d’écriture et de mise à nu des systèmes sur lesquels s’élaborent les modes de pensée contemporains. Psychanalyse de la matière, analyse d’un processus, Second œuvre matérialise l’ineffable, donnant corps à ce qui échappe : les fondations de la culture actuelle sont révélées par le geste artistique fédérateur qui rassemble matériau et matière, action et pensée. Un nouveau système de signes se déploie sous nos yeux : les strates sont exhibées, mettant à nu le processus de pensée caché, à l’instar de ce qui se joue dans l’inconscient. Pas à pas, Jean Denant construit son propre langage artistique, empruntant tant à l’histoire, qu’à l’art et à la poétique du chantier. L’artiste déstructure pour mieux assembler, isole pour mieux rassembler. Le visiteur s’immerge dans un monde réinventé où se rejouent alors le réel et les codes de la représentation.
Solène Bertrand