Flying Carpet
2023
Vue de l'exposition personnelle Flying Carpet
Centre de documentation Bob Calle, Carré d’Art - Musée d’art contemporain, Nîmes
Dans le cadre de la sortie de résidence.
Livre produit avec le soutien de la Région Occitanie Pyrénées-Méditerranée, aide à la production 2023
Riche d’une vaste iconographie picturale à travers les âges, le tapis volant représente un véhicule de pensée magique jouant d’une forte symbolique autour du concept d’hétérotopie ou d’espace autre, à part, cher à Michel Foucault.
Pour le philosophe, le tapis « est une sorte de jardin mobile à travers l’espace », le jardin étant décrit comme la plus petite parcelle du monde et cependant représentant, en même temps, la totalité du monde. Construits selon une structure figurant une cosmogonie de l’existence, les tapis ont souvent en leur centre un élément fondamental comme peut l’être dans certains jardins la vasque centrale, source de vie, autour de laquelle tout semble s’organiser.
Les recherches effectuées dans le fonds du centre de documentation du Carré d’Art à Nîmes le seront autour de cette notion de tapis volant comme véhicule et outil de pensée, empruntant la mobilité et la légèreté de celui-ci au milieu d’un corpus d’ouvrages considérable, et ce avec comme objectif de recréer un monde en soi, structure flottante contenant un tout à son échelle. La bibliothèque est une mine vertigineuse d’histoires de vie et de création. Celle du Carré d’art ô combien. Un livre en appelle un autre qui en appelle un autre qui en appelle un autre. Le tapis volant, outil légendaire, mythique et fantastique, est le véhicule parfait : en survol, structuré comme une architecture de précision, il emporte avec lui — proche en cela du livre — une possible configuration, protégée et organisée, des choses et du monde.
Anna Meschiari
Emmanuella Stauron : À partir de toutes tes recherches et tes collectes, tu as choisi d’éditer le livre d’artiste Flying Carpet, aux éditions Boabooks. Peux-tu nous raconter les étapes de cette édition ?
Anna Meschiari : Il y a quelques années j’ai rencontré Izet Sheshivari, créateur des éditions Boabooks, et rapidement on a pensé à une possible collaboration. L’invitation à cette résidence a pu réveiller cette opportunité et en créer un vrai contexte et prétexte de collaboration. Izet fait un travail pointu depuis une quinzaine d’années déjà, il a un catalogue dont j’apprécie les artistes et je suis ravie qu’il ait intégré ma proposition à ses éditions. Il s’agit pour moi de la première fois que je travaille avec un éditeur, c’est très réjouissant de pouvoir échanger et pousser le travail d’édition plus loin de ce qu’on a l’habitude de faire. Plusieurs étapes ont permis au livre d’évoluer rapidement dans sa conception mais aussi dans sa forme. Le moment de la collecte des images — des doubles pages des livres numérisées lors de la résidence au centre de documentation — a été très important, le fait de se plonger dans un fonds si riche et vaste en si peu de temps. Les décisions pour ma part se sont faites souvent la nuit, je partais du centre de documentation avec des doutes, des soucis à résoudre, et ensuite il y a la vie qui se passe à l’extérieur qui aide à prendre du recul et à réfléchir à pourquoi ou comment certaines choses doivent ou ne doivent pas se faire.
Des échanges avec Philippe, mon compagnon, viennent sillonner tout ce processus, du début à la fin. Une première discussion avec l’éditeur, suite à la collecte des doubles pages et à une première maquette, m’a beaucoup bousculée dans des choix que je croyais arrêtés. C’est suite à cette discussion que j’ai pris conscience de l’importance d’un éditeur, du recul nécessaire qu’Izet a su amener avec quelques mots. Des discussions ont suivi et continué avec Philippe, pour cerner davantage le propos, le concept et arriver à avoir une ligne de conduite qui nous semblait proposer un projet qui allait pouvoir creuser davantage toutes ces questions de dialogue entre le livre, le textile, le pliage, la transparence,…
Flying Carpet propose un ensemble de motifs, de patterns, puisés dans les travaux des autres artistes, pour pouvoir façonner son propre tapis volant, un peu comme un catalogue ou un échantillon de formes qu’on pourrait trouver dans la bibliothèque vernaculaire de RIGA.
Entre le projet qui a évolué lors de mon séjour à Nîmes et ce qu’il est devenu au final sous forme de livre, il y a eu comme une prise de conscience qui m’a permis d’être davantage dans la matière que les autres artistes proposent. Flying Carpet est un travail de recadrage et de montage et permet à autre chose de venir en surface : le résultat d’une quête de formes à partager.
E. S. : Quelle forme (montage des images, format, papier, couverture,…) as-tu pensée pour ce livre d’artiste ?
A. M. : Pour Flying Carpet on a tout de suite pensé à utiliser un papier très fin, qui laisse transparaître le verso des pages. C’est un jeu qui se crée entre image imprimée et image qui se lit de l’autre côté, soit on aperçoit le verso qui suggère le recto, soit on voit le recto et en tournant la page on découvre le verso. On a voulu évoquer le tapis, le dessin du tapis, qui se lit des deux côtés. Le papier très fin en crée un objet très mou, mais qui compte quand même presque 450 pages. Le fait qu’il soit mou, mais dans un format qui est facile à tenir entre les mains, évoque tout autant le tapis, cette fois-ci enroulé, un peu comme les volumen (livres enroulés), les ancêtres des codex (livres à feuilleter).
Concernant le montage des images, il nous paraissait indispensable, dès le début, de pouvoir évoquer le fait qu’un livre, avant d’être un format à feuilleter, est une suite de grandes feuilles avec un montage (l’imposition), le pliage de cette grande feuille permet au livre de devenir un objet à trois dimensions, un cahier. Ensuite les différents cahiers sont assemblés dans l’ordre. Dans Flying Carpet il y a donc 14 cahiers de 32 pages chacun. Dans l’exposition on découvre les 14 cahiers « à plat », et on peut voir comment certaines images courent sur plusieurs pages et qu’une fois les feuilles pliées, elles se retrouvent à la suite dans le livre.
Extrait de l’entretien d’Emmanuella Stauron, responsable de la documentation et des résidences d’artistes auprès du Centre de documentation du Carré d’Art - Musée d’art contemporain à Nîmes, avec Anna Meschiari. Lire le texte en entier.

Vue de l’exposition personnelle Flying Carpet au centre de documentation Bob Calle, Carré d’Art - Musée d’art contemporain, Nîmes, 2023
Flying Carpet, 2023, Boabooks éditions, Genève, Suisse