Marianne Plo.
Didier Delrieu
En 1952, dans l’un des cours de littérature qu’il dispensait sur les campus américains, Vladimir Nabokov définissait l’acte artistique par sa puissance de création d’univers. L’artiste n’était donc pas, selon lui, un penseur visuel, un illustrateur d’idées à la solde d’une quelconque vision mais un inventeur de mondes au moyen d’un simple jeu des formes. L’exotisme qui résulte de cet imaginaire dissident, c’est ce qui s’éprouve immédiatement face au travail de Marianne Plo. Il faut être un peu fatigué par certaines familiarités de la scène artistique contemporaine pour goûter dans sa pleine mesure la fraîcheur de cette œuvre.
Ce qu’il y a de remarquable, tout d’abord, chez Marianne Plo, c’est la pluralité de ses supports : des carrés de soie, des pierres, des toiles, des papiers, des vidéos, du corps et même de l’air si l’on veut bien concevoir la musique comme sa forme esthétique privilégiée.
Pas un pays, donc, pas un champ d’application, mais plusieurs, et cela comme le premier signe d’une liberté qui me semble être le mot d’ordre (ou de désordre) de Marianne Plo.
Parmi tous ces supports, il en est un dans lequel s’incarne à merveille cette liberté : c’est le carré de soie. Matière hyper-souple que l’on peut à la fois porter, suspendre, caresser, chiffonner, accrocher et sur laquelle, en motifs variés, le figuratif alterne avec l’abstrait. Matière un peu folle et désobéissante qui, tout en se laissant faire, peut se défaire à chaque instant.
Parler avec Marianne, c’est entendre aussi cette pensée qui se défie de tout cadre. Elle le dit elle-même souvent : elle craint l’ennui et les convenances. Mépris des partis. Mépris des chapelles. Priorité donnée à l’étonnement plus qu’à la beauté canonique. Le kitch semble même parfois revendiqué. Il s’oppose ici, par sa charge comique et subversive, à toute assignation de goût. Mâchoires féroces peintes au pastel, cauchemars fluos, montagnes roses, marbre fluide… Les oxymores et les contrastes abondent dans ces peintures et dessins qui peuvent à la fois relever du fauvisme, de l’art abstrait, de l’expressionnisme, de l’impressionnisme ou du surréalisme. Là encore, quelle liberté dans les styles.
Suivre Marianne, c’est accepter le hors-piste et les embardées, vouloir être décollé, décorellé du réel et comme presque délesté de toute analogie ordinaire. Avec cette artiste, toute gravité semble douce. Le voyage avance, un peu trompeur : on y connait des enfers de glucose et des paradis brûlants. Enfin, nous y sommes : c’est le plein coeur d’une angoisse pétillante.