Le Piège

2020

Valérie du Chéné et Arlette Farge
Série de 135 dessins et titres de journaux 

En 2000, alors qu’elle se trouve en résidence à Rio de Janeiro, Valérie du Chéné réalise une série de 39 dessins et collages à partir d’images tirées de deux journaux locaux. Enseignes, manifestations, voitures de police, mais aussi graphiques et cartes géographiques s’enchaînent et s’entremêlent aux titres découpés, dans un compte-rendu en prise directe, face à une situation de violence sociale et politique à laquelle elle assiste sans vraiment en saisir les tenants et les aboutissants. Depuis, à plusieurs reprises, Valérie du Chéné a enregistré les événements du passé (Paris 55 / 65 en 2013, La Capucine en 2014) ou du présent (Dessins politiques en 2009) par le biais du dessin, en employant toujours le feutre noir épais sur papier blanc. Dans la série Le Piège (2020), elle a réactivé la relation à l’actualité médiatique et l’a articulée au travail de collaboration avec l’historienne Arlette Farge, avec qui elle œuvre depuis plusieurs années. Le point de départ sont des collages de mots, composés à partir de titres de journaux. Mais, par rapport à la série Rio de Janeiro, ici la correspondance avec les événements est moins manifeste et ces mots sonnent plutôt comme des slogans politiques : « à la dérive », « le point de rupture », « avec les invisibles », « sur le pied »… Ce qu’ils laissent apercevoir, accompagnés par les dessins, c’est une colère sourde et bourdonnante, comme un orage qui gronde. Les collages et les dessins ont ensuite été transmis à Arlette Farge, qui a répondu avec des courts textes, dans un aller-retour entre textes et images, tout au long du premier confinement. Par rapport à d’autres travaux basés sur l’échange et la retranscription plastique de la parole (Bureaux des ex-voto laïques en 2007 ou Lieux Dits en 2010), ici Valérie du Chéné revient à l’essentiel, elle abandonne la couleur et adopte un trait rapide, immédiat, qui fait penser au dessin de presse. Elle réagit, par une urgence expressive, à l’arrêt forcé imposé en mars 2020, en répondant par le dialogue, comme si une digestion à plusieurs était le seul antidote à l’isolement, par l’ironie, qui traverse par ailleurs telle une veine subtile tout son travail, et finalement par la résistance, geste primordial, quand tout se fige dans l’immobilité.

Stefania Meazza, livret de l’exposition Dessins Extimes, Maison Salvan, Labège, 2021