Steven Le Priol, 2022.

Bernard Teulon-Nouailles

On comprend mieux la démarche de Steven Le Priol si l’on se réfère au titre qu’il attribue à la série d’expos en laquelle elle s’inscrit, qu’il a faite ou s’apprête à faire dans la région nîmoise : Pamela d’abord, CACN ensuite, archives de Carré d’Art enfin – Hantologie II. Ce jeu sur les mots mêle la notion d’Anthologie, et donc quelque part de minirétrospective, et le verbe « hanter », que l’on peut interpréter de différentes manières, mais qui véhicule en tout cas l’idée de retour, de trace laissée par un être, le revenant.


La toile qui nous attend à l’entrée du CACN nous met sur la voie : un enfant flotte dans l’espace vert tendre, qui s’affiche sur le mur repeint par les artistes précédents (quand je parlais de trace du passé… sans parler des habituelles rénovations qui effacent tout. Le Priol, quant à lui, garde.). Il est déguisé pour une fête macabre style Halloween. Un squelette est dessiné sur la robe ou cape noire à capuche. Ainsi, Le Priol représente-t-il une représentation (au sens pictural du terme) et d’ailleurs l’enfant joue un rôle (connotation théâtrale). On est dans la représentation de la représentation. Ses pieds dépassent, qui nous renvoient au réel, mais à un réel peint. On y perd nos repères. Le ton est donné pour le parcours qui nous attend dans les multiples pièces qui composent le nouveau CACN.


L’artiste joue sur les frontières hésitantes qui distinguent le réel de la fiction. Il recourt entre autres à une sorte de double imaginaire, un dénommé Stéphane Etienne dont il serait le producteur et dont il nous livre non la production romanesque, mais la série des documents censés la commenter. L’exposition est composée majoritairement d’images, d’une sculpture (un minuscule gisant en autoportrait, et qui se présente à nous comme une énigme), d’un peu d’objets (une plante en ready-made ; une série d’assiettes en porcelaine murale, aux dessins drôles – Coucou ! sur un mirador, ou effroyables : maison hantée, Lecture familiale d’un livre de Mort… ; une mini-maquette avec pierres ; un drapeau français noir et blanc, un morceau d’arbre balisé…), d’images projetées (à partir de rêves « lucides » mis en scène, d’un homme mage, ou qui se prend pour Satan, ou pour un perroquet), d’une vidéo (The end, à la fin du parcours, avant le retour au réel, mais empruntés à des fins de film. En fait de Fin, il s’agit plutôt d’une boucle en éternel retour).


Les œuvres datent d’un peu toutes les époques mais y dominent plusieurs séries : celle des Répliques, celle des Hantises, celle de La perruque, objet de faux-semblant et d’illusion s’il en est. Les premières sont picturales sur fond neutre de papier, dans des formats modestes, style portrait. On y repère quatre images réunies par une intention thématique évidente : la nourriture (mais factice !), les accessoires ou postiches, les emblèmes US (dont un Martin Luther King, plus faux que nature), l’Antiquité (avec un Schwarzy encore plus faux que MLK), etc.


Les deuxièmes entament une série en papier noir découpé, contrecollé sur carton qui met en exergue des figures de meurtriers ou de lieux de meurtre collectif (Auschwitz et sa célèbre devise à la sauce Sarko) dans un style un peu décliné des diverses activités qui ont marqué les années de jeunesse de l’artiste (pochettes, BD, affiches, tatouage, customisation et bien sûr cinéma, notamment les séries B et les films d’épouvante). La troisième renvoie à l’époque où l’artiste devait travailler pour vivre et survivre. Ce qui ne l’empêchait pas de détourner du matériel pour dessiner. Voici les revenants revenus.
Le concept n’est pas absent (trois variations sérigraphiques en couleur sur l’Erreur : Errare Hunanmum Est – sic !). Mais aussi un arbre généalogique ou si l’on préfère une contre-histoire de la modernité, placée en début, ou en toute fin, du parcours. En fait, on a affaire à un véritable jeu de piste où tout est fait pour leurrer le visiteur non attentif. Justement : il s’agit sans doute de lui apprendre l’attention, pas seulement pour cette expo, mais pour toutes les images et informations qu’il doit quotidiennement ingurgiter. L’image est si vite trompeuse : quel est l’objet mystère, évoqué dans le découpage au noir en début d’expo ? Qui se cache derrière le maquillage ? Qui se cache même au fond derrière le visage connu de l’être maquillé (Son galeriste en revenant) ? Steven Le Priol sait l’art de manipuler les faux semblants (à l’instar du ventriloque sur l’une de ses assiettes maudites, si fragiles, comme la vie.). Et sans doute aussi d’accommoder, de réactualiser Les Restes (titre d’une ancienne série).

Publié dans L’Art-Vues, été 2022.

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