L'échange – Chambre d'ami.
Philippe Saulle
La pièce, une intervention artistique de Sam Krack pour Sète-Lisbonne, consiste à échanger son appartement contre la Galerie Zoom. C’est que l’artiste est le voisin du dessus. La galerie d’art se trouve donc investie par les affaires et le mobilier de Sam Krack, tandis que les expositions prennent place à l’étage dans son appartement. Il y a eu des précédents dans l’histoire de l’art à de telles actions. « Chambres d’amis » de Yann Hoet en 1984, invitait une cinquantaine d’artistes internationaux dans des appartements de la ville de Gant, une critique directe des lieux de cultes aux murs blancs… « Kitchen Show » de Hans Ulricht Obrist, invitait lui aussi de nombreux artistes à investir des cuisines de particuliers. « Il s’agissait d’organiser une exposition dans un cadre très peu spectaculaire » précisait le curateur. Le petit village de Fiac dans le Tarn devient à la fin des années 90, un lieu d’exposition et de résidences chez l’habitant. Aujourd’hui de grandes galeries organisent elles aussi des expositions chez des particuliers, déplaçant ainsi l’art vers des lieux conviviaux, familiaux et plus intimes que les whites cubes.
Sam Krack travaille depuis longtemps la question de l’habitat domestique et ses paysages, s’inspire des relations parfois tendues entre loueurs et locataires, des sinistres qui surviennent, autant que ce florilège d’objets sans qualité qui s’invitent dans nos espaces privés. Au départ, il récupère des photographies souvent de mauvaise qualité qui ont un statut de témoignage concret, comme ces objets vendus sur leboncoin, ces moisissures ou petits accidents relevés par le loueur lors de la remise de caution ou encore ces défauts de pose de lino pour l’assurance. Autant de mauvaises photographies dans un domicile qui n’ont d’existence que pour leur qualité de preuve. A partir de ces clichés, Sam Krack s’aventure en peinture, avec patience. Les banalités transfigurées que Sam Krack réalise avec une certaine ironie, se présentent en séries de tableaux à l’huile et acrylique aux formats identiques. Pour la première exposition de « L'Etat des lieux » en 2022, 19 toiles sont accrochées aux côté du fac-similés des documents produits par l’agent immobilier dans l’appartement même, objet de litiges, pour une mise en abîme ou plutôt un reflet poétique de nos tracas domestiques.
Le dégât des eaux devient par mimétisme pictural une tentative d’immersion dans la matière des moisissures. Les mauvaises photos de détails de linos mal posés, prises par l’assureur sont interprétées en peinture par Sam Krack. Il joue ainsi avec une abstraction géométrique chère aux néo-géo qui faisaient de l’usage d’éléments domestiques leur matière de prédilection… Ainsi vont les choses… ici avec cette dérision légère qui dit nos contingences quotidiennes.