Tout corps d’état, exposition personnelle
2013
Vues de l’exposition, Le Portique centre régional d’art contemporain, Le Havre
Le travail de Jean Denant interroge l’humain à partir de l’architecture. Considérant que celle-ci modèle le monde dans lequel les êtres évoluent, c’est par le prisme du geste créatif que l’artiste interroge la nature humaine. L’architecture est une proposition contemporaine pour traiter du réel, pour essayer de l’appréhender et ainsi orienter le monde. Mais, dans les œuvres de Jean Denant, l’architecture, c’est bien plus, c’est une métaphore poétique et philosophique pour parler de l’état du monde. Bâtiment ou histoire humaine, tout est affaire de construction. C’est ainsi à une tentative de construction-déconstruction que nous convie l’artiste.
Tout corps d’état est une exposition physique, comme le souligne le titre polysémique choisi par l’artiste. Tout d’abord, parce qu’elle restitue un geste, celui de l’homme en train de construire. Geste évocateur dans une ville comme Le Havre où la problématique de la reconstruction est omniprésente. Dans la cité océane, les traces physiques et matérielles sont permanentes, renfermant en elles la ruine et l’espoir du renouveau. C’est de cela dont parle le travail de Jean Denant. Tout corps d’état fait référence concrètement au langage du bâtiment, évoquant deux temps de la construction, le gros œuvre et le second œuvre. C’est donc l’histoire d’un processus que nous narre l’artiste à travers des tableaux réunis pour la première fois. En effet, jusqu’ici, ces œuvres ont été montrées de façon autonome et Le Portique offre à l’artiste l’occasion de les faire dialoguer, de provoquer entre elles une rencontre physique et directe. C’est ce qu’induit le mot « corps » présent dans le titre qui souligne cette présence et cette inscription quasi-organique. L’architecture instaure un dialogue entre l’être et le monde.
Dans ses tableaux, l’artiste rejoue l’architecture, conviant des matériaux simples et destinés au bâtiment. Par ce détournement de la matière à des fins artistiques, Jean Denant provoque un volontaire décalage entre noblesse du geste et précarité des matières. Ses œuvres défient les définitions et abolissent les frontières entre art et réel : les tableaux se muent en mur, l’image devient narration, l’artiste un ouvrier. En effet, pour Jean Denant, le geste est primordial, rappelant l’aventure humaine, celle aussi de sa ville, Sète, une cité portuaire et ouvrière qui n’est pas sans ressembler au Havre. Le recours au matériau de construction évoque ainsi les étapes de l’histoire, de celle des hommes qui s’écrit dans le paysage urbain et dans le bâti, enveloppe de béton qui abrite toute une communauté. Métaphore poétique et philosophique, le travail de Jean Denant construit en même temps qu’il démolit une image, solidifie une vision d’un monde en même temps qu’elle le fragilise. Il est question de corps en transformation, d’histoire en cours d’élaboration. Sorte de work in progress permanent, l’exposition que l’artiste présente au Portique invite à relire le cours de l’histoire humaine, mais aussi celle de l’histoire de l’art. S’inscrivant dans une lignée d’artistes contemporains qui se plaisent à convoquer des matériaux issus du bâtiment (on peut évoquer Gyan Panchal ou encore Thomas Houseago), Jean Denant porte alors un autre regard sur l’œuvre d’art qui change de statut. Les matériaux utilisés sont périssables et voués à la disparition, à l’effacement, rompant ainsi avec une traditionnelle préservation des œuvres d’art. Ici, à l’instar de l’histoire et du temps, l’œuvre évolue, se décrépit, n’échappant pas à l’inévitable vieillissement. L’art n’est donc plus voué à la pérennité : il est un geste transitoire, un passeur entre l’être et le temps.
Tout corps d’état rejoue poétiquement l’architecture et le processus de l’Histoire. L’exposition réveille le corps de l’artiste qui, par le geste, s’inscrit dans un continuum. C’est aussi le corps du visiteur qui est sollicité dans une interaction avec les œuvres présentées convoquant l’histoire de l’humanité écrite dans le bâti. Poétique de la ruine, méditation philosophique sur la fuite du temps, Tout corps d’état est une exposition en suspens … Tel un funambule, l’artiste effleure la matière et l’érosion de cette dernière, flirtant entre construction et démolition, entre art et réel.
Extrait du communiqué de presse de l’exposition.