A propos de Sweat.
Nicolas Feodoroff
Compter, marcher, se perdre, puis se dissoudre dans le paysage. Tel semble être le mouvement dans lequel Elsa Brès nous embarque avec Sweat, tourné dans le delta du Mississippi. En amorce, au rythme d’un marcheur, le décompte malicieusement lacunaire de ses pas, saisi par bribes. Une scansion qui vaut autant comme souvenir de la première cartographie du delta – sa tenue y fait allusion – que comme geste élémentaire de mesure du monde. Un geste inaugural que le film s’emploiera à faire oublier pour mieux se laisser porter, dériver et nous immerger dans les méandres du fleuve, entre flots et débordements. Une dérive menant de lieux en lieux, non nommés, au fil des affluents, dans une nature luxuriante, marquée de cicatrices de l’exploitation et de la présence humaine, à l’instar de ce gigantesque complexe pétrolier entr’aperçu. Fluidité d’un parcours aussi sensoriel que mental, entre hier et aujourd’hui, au gré des luttes que l’on devine avec la puissance des éléments et de leur maîtrise que l’on comprend vaine – inondation, déferlement de nuées d’insectes -, pour laisser la part belle aux rencontres furtives, humaines ou animales. Une invitation à se laisser absorber dans la matière même d’un espace aux contours mouvants, fait de berges aux tracés indécis, devenus comme autant de lignes de fuite. Ainsi Sweat dessine le passage d’une zone cartographiée à l’informe, du strié de la carte au lisse du milieu selon les mots empruntés à Gilles Deleuze. Et nous, plongés dans un monde sonore grouillant des êtres qui le peuplent, tout de bruissements émaillés comme autant d’avertissements de dépêches relatant les démesures d’un delta habité, suant, suintant comme le titre nous l’indique, tel un corps, un organisme vivant.